Témoignage

Insertion professionnelle des jeunes comédiens : "On se dit que la passion suffira"

L'entrée dans la vie professionnelle des jeunes comédiens est assez incertaine.
L'entrée dans la vie professionnelle des jeunes comédiens est assez incertaine. © standret / Adobe Stock
Par Juliette Chaignon, publié le 27 novembre 2023
1 min

Chaque année, les écoles de théâtre privées et publiques forment plusieurs centaines d'artistes. Entre précarité, espoirs et désillusions, l’entrée dans la vie professionnelle n’est pas toujours facile.

Cela n’a rien d’un secret : débuter une carrière d’artiste dramatique n’est pas aisé. "Un déséquilibre structurel existe entre le nombre d’élèves formés et les possibilités d’emploi", souligne Cécile Backès, comédienne et auteure d’une "Enquête sensible sur l’insertion des jeunes artistes dramatiques", publiée en 2022. 

La sélection commence dès les concours d’entrée aux 12 écoles supérieures d’art dramatique qui proposent en moyenne 15 places par promotion, pour 400 à 1.600 candidats. Or, quel que soit le parcours (conservatoires, classes préparatoires aux concours, cours privés…), à la sortie de l'école, tous les artistes connaissent la même incertitude quant à leur avenir professionnel.

Une insertion incertaine

Pour plusieurs jeunes artistes, les bancs de la formation laissent peu de place pour penser à l’avenir. "On se dit que la passion et l’envie suffiront, qu’on verra plus tard", se souvient Elie, 30 ans, sorti depuis trois ans d’un cours privé.

Dans les écoles supérieures reconnues, les élèves bénéficient de quelques modules de cours liés à l’insertion, souvent en dernière année. "Cela portait sur la production d’un spectacle, un peu sur l’intermittence, mais ce n’était pas assez, il faut apprendre sur le tas", confie Antoine, 24 ans, diplômé en 2022 de l’ESAD (école supérieure d'art dramatique).

Le régime de l'intermittence : il permet d'indemniser les intermittents du spectacle. Pour bénéficier d'une indemnisation par l'assurance-chômage, les intermittents doivent justifier d'au moins 507 heures de travail dans les métiers du spectacle durant les 12 mois précédant leur dernière fin de contrat.

Des projets mais une précarité qui perdure pour les jeunes artistes

Malgré les difficultés, aucun jeune artiste ne reste à rien faire. À l’ESAD, Antoine, par exemple, tourne sur deux spectacles depuis son diplôme et a monté sa compagnie.

"On est beaucoup à avoir un petit boulot à côté", nuance Chloé, diplômée de l’ESAD depuis six mois. Son été a été riche en projets - festival, tournage, assistanat de mise en scène - mais ceux-ci ne sont pas rémunérés. Dans sa promotion fraîchement diplômée, seuls "cinq ou six élèves devraient avoir leur intermittence dès la première année", estime-t-elle. 

Depuis sa sortie d’un cours privé, Elie l'assure, il a réussi "sans trop de problème" à remplir des salles de 60 à 80 personnes mais il peine à trouver les budgets nécessaires pour de plus grandes salles. Le comédien et metteur en scène a choisi de se former à la technique, pour être "multi-casquette" et "mieux se rémunérer". 

Jeunes troupes, fonds d’insertion et même de l'alternance

Ces dernières années, les jeunes troupes se développent avec, sur la saison 2021-2022, 36 comédiens intégrés à ces troupes dans des centres dramatiques nationaux (CDN).

Des contrats de six mois et deux ans, sous forme de CDDU (contrat à durée déterminée d'usage) ou de contrat de professionnalisation, qui permettent aux jeunes diplômés d’avoir un emploi stable et de découvrir la réalité d’un théâtre. Certains CDN proposent ensuite des emplois. Pour d’autres, ce type de contrat ne fait que décaler l’entrée dans l’intermittence. 

Les écoles supérieures présentent également des dispositifs d’insertion. Le plus important est le Jeune théâtre national qui accompagne pendant trois ans 130 artistes formés au CNSAD (Paris) et au TNS (Strabsourg). Des fonds subventionnent les contrats obtenus par de jeunes artistes durant les trois ans suivant leur sortie d’école. Mais l’enveloppe, jusqu’à 100.000 euros, varie selon la formation.

Les dispositifs des écoles comprennent d’autres aides : au salaire, au projet, à l’édition, des résidences ou encore le compagnonnage qui permet à de jeunes diplômés d’être accompagnés d’artistes expérimentés.  

Autre piste en cours de développement : l’alternance. L’ESCA, à Asnières sur Seine (92), propose déjà l’apprentissage et un projet similaire se monte à l’ERACM, dans le sud-est de la France, en partenariat avec deux théâtres nationaux de la région. 

Créer son réseau et entreprendre le plus tôt possible

Pour les jeunes artistes dramatiques, c’est une évidence : "Il ne faut pas attendre le travail mais aussi le provoquer", explique Antoine. D’après lui, les quelques auditions relayées par l’école ne suffisent pas. Le comédien a donc fondé une compagnie avec cinq anciens camarades. Beaucoup soulignent l’importance du spectacle de fin d’école, parfois racheté ou repéré par des professionnels. 

Pour Chloé, les opportunités apparaissent aussi grâce "des graines plantées avant la sortie". Par exemple, Antoine a trouvé rapidement deux reprises de rôles. L’un via une intervenante de l’école, l’autre via un ancien professeur de son conservatoire régional.

Sans réseau, Lylia a mis près de trois ans après sa formation dans une école privée de Marseille, pour "enfin comprendre comment avoir un book, trouver les annonces, envoyer les bons mails…". Car les rencontres avec des directeurs de casting promises sur la brochure de son école, payée 6.000 euros l’année, n’ont jamais eu lieu. 

"Avec l’intermittence, il y a beaucoup de creux, c’est dur. Dans ces moments, c’est important de se soutenir" entre collègues, indique Antoine. Un soutien précieux aussi pour affronter les mois de sortie d’école, propices "à la mélancolie" d’après Chloé, qui, comme beaucoup, a du mal à se remettre de la fracture entre ses trois années de formation intense et l’entrée dans le monde professionnel. 

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