Enquête

La culture de la charrette dans les écoles d'architecture, une tradition qui se perd ?

La charrette est décrite comme malsaine pour sept étudiants sur dix (contre 43% en 2017).
La charrette est décrite comme malsaine pour sept étudiants sur dix (contre 43% en 2017). © Rudzhan / Adobe Stock
Par Pauline Bluteau, publié le 16 novembre 2023
4 min

Ancrée depuis des années dans les écoles d'architecture, la culture de la charrette -autrement dit, travailler jusqu'à l'épuisement-, serait en train de s'estomper. Autrefois décrite comme stimulante ou festive, la charrette est désormais perçue comme dangereuse et malsaine par les étudiants en architecture.

Une période de travail acharné où les heures de sommeil sont exceptionnelles, bienvenue dans la culture de la charrette. Celle qui existe depuis des années en écoles d'architecture ne surprend même plus ceux qui la pratique à tort et à travers pendant leurs cinq années d'études. Banalisée, normalisée, elle fait partie intégrante des études d'architecture.

Mais pour la première fois, il semblerait que cette tradition ait assez duré. Dans sa nouvelle enquête sur la santé en école d'architecture publiée en octobre dernier, l'Union nationale des étudiants en architecture et paysage (UNEAP) constate une prise de conscience évidente sur la culture de la charrette.

Quand la charrette devient "dangereuse", "malsaine" et "inadmissible"

"La vision des étudiants sur la culture de la charrette change : ils ont de plus en plus conscience de l'impact négatif", commente l'UNEAP. Et pas qu'un peu. Depuis 2017 (date de la dernière enquête de l'UNEAP sur le sujet), les étudiants ne perçoivent plus la charrette de la même manière.

Toujours aussi épuisante (81%), la charrette est désormais décrite comme malsaine pour sept étudiants sur dix (contre 43% en 2017). Les étudiants sont aussi deux à trois fois plus nombreux à la considérer comme dangereuse (61% contre 31%), déprimante (52% contre 36%) ou inadmissible (39,5% contre 14%).

"La charrette, c’est faire une ou plusieurs nuits blanches d’affilées, tout en ayant bossé non-stop pendant la journée parce qu’on doit finir un travail pour un rendu le lendemain", témoignage une étudiante de l'école d'architecture de Strasbourg (67).

Une routine qui n'a plus rien de naturelle pour les futurs architectes qui sont de moins en moins nombreux à la qualifier de "normal" (18,5%) ou obligatoire (11,5%). Celle qui était aussi parfois perçue comme stimulante, festive ou enrichissante ne l'est d'ailleurs plus que pour moins d'un étudiant sur dix. "Cette culture perd son aspect sacré et traditionnel", confirme l'UNEAP.

Une culture qui se perd… doucement dans les écoles d'architecture

En revanche, la culture de la charrette reste banalisée pour la majorité des étudiants (64%). Elle devient même de plus en plus un sujet "tabou" alors que la parole semble se libérer. Rien d'étonnant à cela : comme le décrivent les trois quarts des étudiants interrogés, la charrette existe toujours dans les écoles et la charge de travail n'est prise en compte qu'à hauteur de 3,9/10 par les enseignants.

"Les profs se disent faire en sorte que tout le monde l’évite, mais en pratique, vue la charge de travail, discours positif ou non, rien n’y change, on se retrouve parfois obligées de le faire", estime une étudiante de l'école d'architecture de Lyon (69).

Il faut dire que si les mentalités évoluent petit à petit, la formation et la pédagogie changent encore plus lentement. La moitié des étudiants se disent toujours autant stressés par leurs études. Deux étudiants sur cinq affirment dormir moins de quatre heures par jour lors des périodes de rendus. De quoi provoquer de la fatigue, de l'anxiété, un dérèglement de l'appétit et une instabilité émotionnelle chez plus de la moitié des futurs architectes.

Une prise de conscience insuffisante face à la pression

Or, pour décompresser, tous les moyens sont bons. La très grande majorité des étudiants privilégient leur vie sociale, des activités extérieures, culturelles, dormir ou faire du sport. Une bonne chose même si, à l'inverse, l'alcool, les cigarettes, la drogue ou les médicaments font aussi partie des "remèdes" pour les étudiants, notamment face aux périodes de tristesse, d'anxiété et/ou de dépression qu'encore trois quarts d'entre eux ont connu sur une période prolongée pendant leurs études.

Aussi, malgré les enquêtes, les nombreux témoignages et le plan d'action du ministère de la Culture publiée en mars 2022, selon l'UNEAP, les résultats ne sont pas à la hauteur des attentes. "L’enquête démontre une évolution trop peu significative de l’état de santé des étudiants en architecture et paysage. On ne remarque pas (ou pas encore) l’impact des mesures prises ces dernières années. Les quelques améliorations notables sont bien trop faibles et leurs évolutions trop lentes".

Il reste donc encore du chemin à faire pour ne plus entendre parler de charrette dans les écoles d'architecture.

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