Décryptage

Un diplôme d'Etat pour enseigner toutes les danses : bonne ou mauvaise idée pour la profession ?

Les professeurs de hip-hop devront-ils obtenir un diplôme d'Etat pour pouvoir enseigner ?
Les professeurs de hip-hop devront-ils obtenir un diplôme d'Etat pour pouvoir enseigner ? © luckybusiness/Adobe Stock
Par Séverine Mermilliod, publié le 29 avril 2024
6 min

Une loi sur la professionnalisation de certaines danses prévoit, outre un passage du bac+2 au bac+3, l'obligation de passer un diplôme d'Etat (DE) pour être professeur dans des disciplines jusqu'alors non concernées comme le hip-hop. La communauté des danseurs est divisée.

Adoptée en première lecture le 7 mars à l'Assemblée, une proposition de loi "visant à professionnaliser l'enseignement de la danse en tenant compte de la diversité des pratiques" prévoit notamment de réévaluer le niveau du diplôme d’État (DE) de professeur de danse de bac+2 à bac+3, et d'élargir un diplôme jusque-là limité aux danses classique, contemporaine et jazz.

Travaillée à l'origine avec un collectif de hip-hop, la proposition englobe désormais une multiplicité de danses, dont les "danses régionales" ou les "danses du monde".

Le hip-hop, première danse concernée par la professionnalisation

L'idée d'officialiser l'enseignement de nouvelles esthétiques de danse n'est pas neuve. La loi actuelle, qui ne concerne que le classique, le contemporain et le jazz, date de 1989. Actuellement, comme l'a expliqué la ministre de la Culture, Rachida Dati, sur BFMTV, un "professionnel du hip-hop peut donner des cours, dans des centres d'animation, dans des MJC (maison des jeunes et de la culture, NDLR) (...) mais il ne peut pas donner des cours de hip-hop dans des conservatoires" car il n'a pas de diplôme d'Etat.

En revanche, un titulaire d'un DE de contemporain le peut. "Pourquoi une personne qui est issue de la danse hip-hop n'aurait pas les mêmes droits que quelqu'un qui est en jazz, en classique, en danse contemporaine ?", a demandé, début mars, sur FranceInfo, William Messi, le fondateur du collectif de hip-hop ON2H, auditionné par les parlementaires et en faveur d'une nouvelle loi.

Il s'agit pour ses membres de permettre aux enseignants de hip-hop d'entrer dans la fonction publique et de donner aux danseurs une possibilité de reconversion.

De nouvelles formations pour chaque danse ?

La proposition de loi prévoit un diplôme d'Etat unique, assorti d'une mention par danse. Focalisé au départ sur le hip-hop, le texte cite désormais les danses "hip‑hop, danses régionales de France, danses baroques et danses anciennes, danses du monde, autres…", soit un terrain d'application potentiel très vaste.

"Avec le DE, il y a une volonté de professionnaliser les danses, mais sans tenir compte de leurs spécificités", déplore Leïla, directrice de Kif Kif Bledi, une compagnie de danse et un centre culturel qui enseigne les danses traditionnelles d'Afrique du Nord et du Liban.

Pour la compagnie, qui a lancé une pétition en ligne, "il faut dissocier les danses académiques des danses qui sont indissociables de pratiques socio-culturelles". "Qui a les compétences en France pour juger des danses traditionnelles d'Afrique du nord ?", s'interroge Leïla, rappelant que son école n'enseigne pas que la danse mais les symboliques, l'histoire, les tenues traditionnelles, etc.

Pauline, jeune professeure de dancehall à Toulouse, un style de danse urbaine dont la culture vient de Jamaïque, abonde : "Le female dancehall nécessite de comprendre le patois jamaïcain, c'est une culture à part entière. C'est un style qui n'est pas du tout accepté par le gouvernement jamaïcain, donc avoir un État qui va dire comment enseigner… c'est un peu absurde !"

Un titre de professeur ou d'animateur

Actuellement, le code de l'Éducation est clair sur l'enseignement de la danse classique, jazz et contemporaine : "Nul ne peut enseigner la danse contre rétribution ou faire usage du titre de professeur de danse ou d'un titre équivalent" sans un diplôme d'Etat, une équivalence ou une dispense. Faute de quoi une amende de 15.000 euros peut être appliquée.

Si la proposition de loi l'élargit à d'autres danses, alors sans DE, Pauline ne pourra plus avoir le titre de professeur, mais sera considérée comme une "animatrice". Le texte, qui passe au Sénat, prévoit une dispense pour ceux qui enseignent leur discipline depuis plus de quatre ans. Mais Pauline, elle est professionnelle de dancehall depuis un an seulement.

"J'ai un bac+6. Je ne me vois pas faire une licence à nouveau", résume celle qui, à 33 ans, a passé sept ans à se former, en plus d'un travail à côté. "Tout ça a un coût. Je travaillais la journée et le soir, studio de danse. Ce serait des modules, ce serait faisable, mais là c'est ingérable", prévient la danseuse.

Selon Leïla de Kif Kif Bledi, le risque est aussi d'exclure des personnes éloignées de la scolarité. "Les danses populaires sont souvent pratiquées par des personnes hors système. Plusieurs d'entre elles sont devenues profs en faisant quelque chose à côté. On va les désigner comme animateurs alors qu'ils ont fait 15 ans de danse ?"

"Dans des studios, ceux qui ont le DE sont déjà mieux rémunérés", ajoute aussi Pauline, qui craint que le fait d'être considéré animateur renforce encore cette différence.

Des enseignants dans les écoles de danse

Côté écoles, l'impact serait aussi important. "Une école de danse ne peut pas employer que des animateurs, il faut des professeurs", rappelle Brigitte, dirigeante d'école et enseignante de danse hip-hop depuis plus de 30 ans à Marseille, membre du Moovement, un collectif opposé à la réforme. Son école compte dix professeurs dont un seul a un DE. "Il faudrait que tous les autres aillent passer ce diplôme. C'est une obligation qui est ridicule."

Les acteurs interrogés ne sont toutefois pas contre des formations, notamment en premiers secours ou anatomie. "Mais on ne veut pas d'une prison culturelle", note Leïla.

Fabienne Colboc, l'une des deux rapporteuses de la loi, a affirmé devant l'Assemblée que "les concertations permettront de répondre aux questionnements qui subsistent quant aux frontières entre l’enseignement et l’animation, et de nous assurer que personne ne subira de conséquences négatives." Dans l'opposition, le député Yannick Monnet a, quant à lui, regretté "l’absence de prise en compte de l’accessibilité à la formation" dans la proposition de loi.

Pour être définitivement adopté, le texte doit encore passer en commission sénatoriale, puis être voté, avant une deuxième lecture dans les deux chambres.

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