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Témoignage

Mobilisations étudiantes pour la Palestine : "On nous apprend la politique pour ensuite nous reprocher de la pratiquer"

Des étudiants ont bloqué les entrées de Sciences po Bordeaux mardi 30 avril, en soutien à la Palestine
Des étudiants ont bloqué les entrées de Sciences po Bordeaux mardi 30 avril, en soutien à la Palestine © Sarah Nafti
Par Sarah Nafti, publié le 03 mai 2024
6 min

Le mouvement en faveur d’un cessez-le-feu à Gaza prend de l’ampleur dans l’enseignement supérieur et rappelle que les universités ont toujours été des lieux d’expression politique.

Dans les universités, la mobilisation en faveur de la Palestine s’intensifie depuis plusieurs semaines. Après Sciences po vendredi 26 avril, d’autres campus ont été occupés partout en France. Un mouvement qui fait "tâche d’huile", comme le dit Yanis, étudiant en 3e année de lettres modernes à Bordeaux, mobilisé sur le blocage de Sciences po Bordeaux mardi 30 avril.

Pour ce responsable syndical de l’Union étudiante, la répression du mouvement - la police est intervenue à Sciences po et à la Sorbonne pour déloger les manifestants - ne fait que l’amplifier.

Faire entendre leurs revendications

Avant les blocages, les étudiants ont multiplié les actions pour faire entendre leurs revendications : "Quand on a voulu faire des réunions, on les a interdites, explique Yanis, citant l’exemple d’une conférence de Rima Hassan prévue à Bordeaux. Nous on veut juste se mobiliser pacifiquement sur un mot d’ordre qui nous semble juste."

"Il y a eu des tas d’initiatives, de conférences, avant les blocages", confirme Bastien, du syndicat Susie de la Sorbonne, étudiant en L2 histoire. Il remarque que de nouvelles personnes se mobilisent, après une période où le syndicalisme étudiant était à la peine, notamment depuis le Covid.

"Il y a un retour de la politisation, on voit par exemple des étudiants parler de la Palestine quand ils font la queue au resto U", raconte-t-il.

Débattre de sujets politiques sensibles

"On nous apprend la politique pour ensuite nous reprocher de la pratiquer". Hicham, représentant du Comité Palestine de Sciences po s'exprimait à l'issue du "Town Hall", un débat interne organisé par la direction de Sciences po jeudi 2 mai à Paris. Ce débat était l’une des demandes obtenues par le mouvement étudiant, après des semaines d’actions.

Pour Jean Bassères, administrateur provisoire de Sciences po, le sujet du conflit israélo-palestinien, sensible, "suscite de l’émotion" et il était utile de prévoir un espace "où tous les étudiants pouvaient exprimer leur point de vue". Jean Bassères s’est engagé à lancer une réflexion sur les prises de position de Sciences po sur les conflits et les enjeux politiques afin d’établir une doctrine claire sur le sujet, et à travailler à un plan de rentrée pour "renforcer le cadre commun du vivre ensemble".

Mais il a refusé certaines revendications, notamment le groupe de travail pour questionner les partenariats de l’établissement, avec, entre autres, des universités israéliennes. A l’issue de la rencontre, décrite comme "décevante" par Hicham, un sit in était organisé, et quelques étudiants ont annoncé débuter une grève de la faim.

L’institution, bousculée par ces actions, en appelle au "sens des responsabilités", alors qu’une période d’examen doit débuter lundi.

Un climat interne "difficile" face à des étudiants fortement politisés

Reste qu’en interne, "le climat est très difficile", confie Eden, étudiant en 2e année. Un message sur un groupe Whatsapp peut vite être mal interprété et amener à être pris à parti, à devoir se positionner. Maxime étudiant en M1 estime lui "qu’il est compliqué d’afficher un avis nuancé".

La question "clive la société bien au-delà des seuls étudiants" relève Martial Foucault, politologue, professeur à Sciences po. La mobilisation s’étend particulièrement dans les universités en sciences humaines et sociales et dans les IEP, où les étudiants ont toujours été politisés.

Dans une enquête* menée avec Anne Muxel en 2022 auprès des étudiants de Sciences po, Martial Foucault a relevé qu’ils étaient encore plus politisés qu’il y a 20 ans. Neuf étudiants sur dix portaient un intérêt à la politique et 71% se déclaraient à gauche, contre 57% en 2002.

Un "fort sentiment d'injustice" ressenti

"En tant qu’étudiante, c’est compliqué de parler politique. Dès qu’on le fait, on nous infantilise", regrette Alexandrine, étudiante en L3 AES à la Sorbonne, membre de l’Union étudiante, qui a participé au blocage évacué par la police mardi 30 avril. Or, "les étudiants sont sensibles à la cause palestinienne, ils comprennent le combat que l’on mène pour visibiliser ce conflit et appeler à un cessez-le-feu".

Pour Martial Foucault, l’engagement sur ce conflit est lié à "un fort sentiment d’injustice" ressenti par certains étudiants. Dans l’enquête de 2022, le politologue avait relevé plusieurs sources de leur engagement : d’abord, de loin, le climat, puis la lutte contre les discriminations et le racisme. Si à cette époque le conflit israélo-palestinien n’apparaissait pas, la Palestine semble répondre à cette sensibilité aux injustices.

Une radicalité plus importante des engagements

L’enquête montre aussi une radicalité plus importante, mesurée à l’aune des registres de mobilisation acceptables, de ce qui est jugé légitime ou de ce qu’ils sont prêts à faire. Dans le cas de Sciences po, le chercheur remarque le rôle de l’évolution sociologique de l’établissement, qui accueille désormais plus de 65% de femmes : elles soutiennent davantage que leurs homologues masculins la radicalité politique pour défendre une cause.

"La jeunesse est très politisée même si cela ne s’illustre pas de manière traditionnelle, explique Yanis. Peu de jeunes sont syndiqués, peu de jeunes votent mais cela ne les empêche pas d’avoir une conscience et une réflexion politiques". Selon Bastien "les blocages, ce sont des modes d’action qui ne les choquent pas". Car, comme le souligne Alexandrine, "les universités sont des lieux politiques, et l’ont toujours été. Ce sont des lieux de mobilisation de débat et d’occupation quand c’est nécessaire."

Rayyân, étudiant en M2 de physique à l’université de Strasbourg, membre d’Alternative étudiante, qui participait au blocage de Sciences po Strasbourg mardi 30 avril, déplore que le mouvement, pacifique, soit "pointé du doigt". Les blocages sont particulièrement mal perçus et la ministre de l’Enseignement supérieur a demandé aux établissements de veiller au maintien de l’ordre, en faisant usage de toute l’étendue de leurs pouvoirs.

Pour Martial Foucault, la réaction face aux mouvements sociaux a beaucoup évolué, et on tolère moins qu’ils s’inscrivent dans la durée. L’intervention policière dans l’enceinte des établissements était extrêmement rare auparavant. Mais il y a également un usage politique des actions illégales, comme les blocages, qui, en attirant les médias, permettent de faire parler de la cause défendue.

*"Une jeunesse engagée, enquête sur les étudiants de Sciences Po, 2002-2022", de Martial Foucault et Anne Muxel aux Presses de Sciences Po.

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