Interview

Les 20 ans de Nicole Ferroni : comment elle est devenue humoriste

Nicole Ferroni : " C'est après avoir raté une première fois le CAPES, que j'ai pris une année sabbatique pour faire du théâtre."
Nicole Ferroni : " C'est après avoir raté une première fois le CAPES, que j'ai pris une année sabbatique pour faire du théâtre." © NicoleFerroni.com
Par Propos recueillis par Isabelle Maradan, publié le 02 mars 2016
1 min

Avant de décortiquer le discours des politiques sur France Inter, Nicole Ferroni, professeure agrégée de SVT, a fait disséquer des grenouilles à des collégiens. Persuadée qu’elle aimerait enseigner parce qu’elle avait apprécié d’être élève, cette fille de professeurs n’a pas tardé à déchanter. Et à démissionner.

Quelle élève étiez-vous ? 

“Bavarde” revenait le plus souvent, après "Participation active". J’ai fait ma crise d'adolescence l’année de terminale, au lycée Joliot-Curie à Aubagne [13]. Cette année-là, j’ai séché les cours pour la première fois, pour aller à la plage. Mon premier trimestre a été catastrophique. Un jour, en contrôle de physique-chimie, je n’ai rien pu faire, malgré mes “pompes”. Le déclic. J’ai pris un virage à 360 degrés. Je me suis mise devant en cours, et j’ai bûché.

Avez-vous en mémoire des enseignants en particulier ?

Madame Dimeglio, professeure de SVT [sciences de la vie et de la Terre], très vivante, très joviale et absolument limpide. Elle répondait à ma curiosité sur la vie, les individus, la Terre, la mécanique des êtres vivants. Je me souviens aussi de Madame Monta-Genevier, professeure de français, avec qui on décortiquait pour la première fois la forme des textes : le rythme, le fait qu’on pouvait jouer avec la langue. Elle m’a montré que la maîtrise de la forme apporte du sens. Je me suis rendu compte plus tard qu’elle avait initié quelque chose.

L’écriture occupait-elle déjà une place dans votre vie de lycéenne ?

Je n’écrivais pas du tout à ce moment-là. Je détestais les dissertations. En philo, au premier trimestre, j’avais 3/20 de moyenne. C’est bizarre parce que cette matière aurait dû me plaire. J’ai eu l’impression d’une énumération de philosophes. J’ai quand même eu la moyenne au bac.

Quand avez-vous décidé d’étudier les SVT ?

En terminale. Je voulais simplement étudier une matière qui me plaisait. Potentiellement, si j’avais pu être payée pour apprendre, j’aurais fait élève toute ma vie !

Que gardez-vous de l’université ?

J’étais à Saint-Charles, à Marseille, en licence SVT. La taille des amphithéâtres m’a surprise. L’absence d’accompagnement m’a fait perdre le fil de la matière.


À 20 ans, Nicole Ferroni est étudiante en sciences de la vie et de la Terre à l’université de Marseille.

Chaque professeur faisait sa spécialité. C’était saucissonné et il me manquait les clés de compréhension globale. Je bachotais. Le goût d’apprendre est revenu lors de ma préparation au CAPES [certificat d’aptitude au professorat de l’enseignement du second degré].

Quand vous est venue l’idée d’enseigner ?

J’ai pensé à l’enseignement en fin de DEUG [aujourd’hui, L2, licence deuxième année] ou de licence.

J’étais partagée entre faire du théâtre ou devenir prof.

J’ai cru que j’allais aimer enseigner parce que j’avais apprécié être élève. J’ai donc tenté et raté le CAPES une première fois. Comme j’étais partagée entre faire du théâtre et devenir professeur, j’ai pris une année sabbatique pour faire du théâtre.

Comment s’est déroulée votre année sabbatique ?

Ma mère m’a poussée à la prendre en me disant que si je ne le faisais pas maintenant, je ne le ferais plus. Je suis allée au Cours Florent, à Paris, pendant quatre mois. On était 30, on passait parfois juste cinq minutes sur scène. Ça fait cher la minute !

Je suis revenue prendre des cours de théâtre à Aubagne et à Marseille, où mon professeur, Gilles Azzopardi, m’avait embauchée pour sa pièce. Après un mois de représentation, j’avais gagné 400 €. Je me suis dit : “OK, j’adore ça, mais je ne peux pas en faire un métier.”

Avez-vous eu du mal à reprendre vos études ?

Le premier mois de reprise, je me suis demandée ce que je faisais là. La vie était tout à coup insipide et très rangée. Le CAPES n’était pas insurmontable. Quand je veux, je suis capable de fournir une grande force de travail !

Quel rôle vos parents, enseignants, ont-ils joué dans votre vocation ?

Mes parents avaient des expériences satisfaisantes de l’enseignement. Inconsciemment, je pense que j’ai fait des sciences parce que je me sentais un peu redevable vis-à-vis de mon père, enseignant-chercheur en chimie.

Je pense que j’ai fait des sciences parce que je me sentais un peu redevable vis-à-vis de mon père, enseignant-chercheur en chimie.

Ma mère était professeure d’allemand en lycée, puis en prépa. Cela aurait dû me mettre la puce à l’oreille, parce que l’allemand, en prépa, cela n’a rien à voir avec un cours de SVT dans une classe de collège de 35 élèves, avec un microscope pour huit.

Vos débuts dans l’enseignement…

J’avais une vraie envie de transmettre, mais je n’avais pas pris la mesure de l’ampleur du défi. Pendant l’année de stage, j’étais dans les quartiers nord de Marseille, dans un collège classé zone “ambition réussite”, ou “sensible”, ou “violente”. “Ambition réussite”, c’est trop mignon ! J’ai eu un rire nerveux quand j’ai été affectée. J’ai découvert un autre monde. Tous mes élèves avaient deux ans de retard. “Dans ce collège c’est simple, à part David, les blancs, c’est les profs”, m’avait dit un élève.

Quelles difficultés avez-vous rencontrées ?

Je me pliais aux attentes de l’IUFM [aujourd’hui ESPE, École supérieure du professorat et de l'éducation], qui évaluait ma capacité à enseigner. En troisième, par exemple, je devais présenter un chapitre sur “Les chromosomes sont le support du programme génétique d’un individu”. J’avais un tiers d’élèves, primo-arrivants, qui ne maîtrisaient pas le français. À quoi cela servait de les faire écrire puisqu’ils ne comprenaient pas. Au bout d’un mois et demi, j’ai demandé à démissionner.

Et vous avez finalement décidé de passer l’agrégation…

Je l’avais passée une fois et ratée de peu. J’ai demandé une disponibilité pour la repasser et on me l’a refusée. On m’a mutée, comme remplaçante, dans l’Essonne. Je me suis retrouvée à un poste de bibliothécaire. J’ai repris contact avec le rectorat et mon dossier est repassé en commission et j’ai pu préparer l’agreg’ et l’obtenir.

Comment le retour à l’enseignement s’est-il passé ?

J’ai enseigné un an, au lycée international de Luynes [13], où c’était Byzance. Il y avait des tableaux blancs interactifs, des microscopes électroniques, des moyens dingues. J’ai souffert de la quantité de travail – j’avais tous les niveaux de la seconde à la terminale – mais je me suis régalée.

Être professeur, c’est avoir des casquettes parfois insoupçonnées : assistante sociale, éducateur.

Dans mon ancien établissement, j’avais eu des élèves qui pouvaient n’avoir accès au SVT que par l’observation, et je n’avais pas eu assez de matériel. Ici, j’avais des élèves issus de milieux hyperfavorisés et ils avaient tout ! J’ai trouvé que la répartition des moyens était injuste. Cela m’a révolté. Est-ce que les personnes qui sont dans les bureaux, qui élaborent les programmes et attribuent les moyens, à Paris ou au rectorat, se rendent compte des conséquences ?

Et puis, un courrier vous annonce que vous devez quitter “Byzance”…

En 2008, on m’apprend que mon poste est supprimé. J’ai pleuré trois jours de suite. J'ai alors demandé un mi-temps annualisé [un semestre travaillé, l’autre non, avec un salaire à mi-temps]. C’était mon projet de survie. Après 6 mois d’enseignement, j’ai passé 6 mois à écrire mon spectacle ; j’ai repris ce rythme l’année suivante. J’ai été affectée dans un collège, près du théâtre l’Atelier des arts, à Marseille, où je répétais. Le 5 novembre 2010, j’ai joué, pour la première fois,  mon one-woman-show : j’ai eu l'impression de jouer ma vie.

Comment êtes-vous passée de la scène au petit écran et à la radio ?

J’ai démissionné de mon poste de professeur en 2011 pour être comédienne. J’ai reçu un prix du public dans un festival d’humour. Des gens de l’émission "On n’demande qu'à en rire", sur France 2,  étaient dans le public. Je suis rentrée à France Inter, un peu grâce à l’Éducation nationale. Lors de ma démission, j’avais écrit une lettre classique, puis une autre, où j’expliquais au rectorat pourquoi je partais. J’ai envoyé cette dernière au Courrier des lecteurs du "Monde".

Dans la Matinale de France Inter, Nicole Ferroni tient une chronique humoristique et politique, le mercredi, à 9 heures.


À la rentrée 2011, les enseignants faisaient grève et étaient très critiqués. J’ai eu envie d’expliquer pourquoi j’avais quitté cette sécurité de l’emploi, soi-disant enviable, pour quelque chose de précaire. Une journaliste du "Monde" m’a interviewée ; France Inter m’a invitée. Ils m’ont testée comme chroniqueuse dans "les Affranchis", puis j’ai rejoint "On va tous y passer". On m’a finalement proposé la Matinale.

Où vous avez une chronique hebdomadaire très politique...

Au début, je n’ai pas accepté. Je ne suis pas familière du milieu politique. Mais j'applique ma technique d’observation des SVT et ça marche ! J’essaie de disséquer les fonctionnements et je lis beaucoup. Je mets du temps à digérer. En parallèle, mon spectacle "l’Œuf, la poule ou Nicole" tourne toujours.

Quels conseils donneriez-vous à un jeune qui veut devenir prof ? 

D’aller faire un baptême du feu avant de devenir pompier ! D’aller se frotter à la réalité des collèges les plus difficiles, pour prendre la mesure de tout ce qu’implique la “mission du professeur”. Être enseignant, c’est avoir des casquettes parfois insoupçonnées : assistante sociale, éducateur…

Et si c’était à refaire…

Je ne changerais rien. Bien que chaotique, ce parcours m’a conduite sans le savoir vers mon métier actuel, tel un parcours initiatique. Tant pis pour les hématomes, qui ont guéri. Aujourd’hui, j’ai la chance de marcher sur le chemin qui me va bien !

Bio express

1982 : naissance à Casablanca, au Maroc.
1999 : obtient son bac S.
2002 : obtient sa licence SVT (sciences de la vie et de la Terre).
2003 : prend une année sabbatique.
2005 : est admise au CAPES SVT.
2006 : commence à enseigner, à Marseille.
2009 : est reçue à l’agrégation de SVT.
2010 : joue pour la première fois l’Œuf, la poule ou Nicole ?
2011 : démissionne de l’Éducation nationale. Devient chroniqueuse à France 2, puis à France Inter.

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