Reportage

Reportage en maison familiale rurale : l'école est dans le pré

Ambiance familale. Aubin et Paulin préparent leur bac pro CGEA entourés de Christine, présidente de la MFR, d'Anthony, moniteur, et d'Emmanuel, directeur de l'école.
Ambiance familale. Aubin et Paulin préparent leur bac pro CGEA entourés de Christine, présidente de la MFR, d'Anthony, moniteur, et d'Emmanuel, directeur de l'école. © Etienne Gless
Par Étienne Gless, publié le 20 février 2017
1 min

C'est une école, mais c'est aussi une maison. Ici, on concilie cours en classe et stage en entreprise dans une ambiance conviviale. Reportage à la MFR (maison familiale rurale) de Bras-sur-Meuse, en Lorraine, qui prépare – entre autres – au bac pro conduite et gestion de l'exploitation agricole.

Bras-sur-Meuse, petite commune rurale de moins de 1.000 habitants près de Verdun (55). Rue Raymond Poincaré, une grande maison à deux étages abrite des dortoirs. 72 couchages en tout. Derrière la façade, une aile de bâtiment toute en longueur héberge les salles de cours, la bibliothèque, le foyer, le réfectoire, quelques bureaux et la toute nouvelle cuisine pédagogique inaugurée à la rentrée de septembre 2016. Bienvenue à la MFR (maison familiale rurale) !

Ici, vivent et étudient 111 élèves, de la seconde à la terminale. La grande majorité d'entre eux est interne. Les jeunes venus de la Meuse et des départements voisins (Meurthe-et-Moselle, Moselle, Ardennes) se répartissent entre deux formations : le bac pro CGEA (conduite et gestion de l'exploitation agricole) et le bac pro SAPAT (services aux personnes et aux territoires). Les élèves peuvent aussi y suivre une formation au CACES, le permis de conduire pour les engins de chantiers et chariots télescopiques, bien utiles sur l'exploitation agricole pour déplacer des charges lourdes !

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Quand l'école est aussi une maison

Comme leur nom l'indique, les 430 maisons familiales rurales de France sont implantées en zone rurale, hors des grandes villes. Elles forment plus de 90.000 jeunes chaque année, de la 4e à la licence professionnelle. Elles préparent à de nombreux diplômes de l'enseignement technologique et professionnel. Les métiers sur lesquels ils débouchent touchent bien sûr à l'agriculture et à l'élevage, mais aussi à la maintenance, à l'électricité, au tourisme ou encore aux soins à la personne.

"Les maisons sont familiales car les familles ont leur mot à dire sur le fonctionnement des activités pédagogiques et de la vie résidentielle", explique Christine Dutrou, la présidente bénévole de la maison de Bras-sur-Meuse et mère de trois enfants qui se sont tous formés dans ces associations sous contrat avec l'État et les régions. Et, comme à la maison, les jeunes ont des tâches à accomplir : par exemple, passer l'aspirateur dans le foyer entre deux cours pour faire disparaître les miettes du quatre-quarts aux pommes dégusté une heure plus tôt ! L'apprentissage de la vie en collectivité, le "vivre ensemble", la participation aux tâches quotidiennes de la maison font partie intégrante de la formation.

Golf fermier dans les pâturages

Beaucoup de jeunes rejoignent une MFR pour avoir moins d'école et apprendre en travaillant. Sur 40 semaines de formation annuelles, les élèves alternent 22 semaines de stages et 18 semaines de cours. "On est moins assis qu'au collège ! On apprend autant par le stage que par les cours en classe", s'enthousiasme Léa, 15 ans, en seconde dans la filière SAPAT. Même son de cloche chez Julie, 20 ans : "En collège classique, il y avait trop de cours théoriques, cela ne me convenait pas. Ici, j'apprends mon métier sur le terrain de manière concrète." Quelques exemples de stages : "agriculture bio", "autres régions", "ovin", sans oublier le stage obligatoire à l'étranger…

Dans la filière bac pro agricole, les lycéens multiplient les expériences en exploitation. "En octobre, nous sommes partis en échange Erasmus en Belgique, explique Paulin, 17 ans, en terminale pro CGEA. Pour ma part, je suis allé dans une exploitation laitière intensive où j'ai découvert aussi la culture de la betterave." Aubin est, quant à lui, parti découvrir une exploitation labellisée "agriculture biologique". "Les vaches n'y sont pas nourries aux céréales, mais avec de l'herbe de prairie. J'ai pu découvrir une nouvelle race bovine, la "Blanc-Bleu mixte". Et une activité de golf fermier dans les pâturages : une source de revenus annexe pour l'exploitation !", explique Aubin.

Un temps pour l'action, l'autre pour l'analyse

Pendant les stages, la formation générale ne s'arrête pas : une fois la journée de travail finie, il s'agit de remettre le nez dans ses cahiers et de remplir son "plan d'études" qui consigne les observations faites en stage. De retour en MFR, ce rapport servira de base de discussion entre les élèves et le moniteur. "Les maisons familiales rurales ont développé un système pédagogique original, explique Emmanuel Martin, le directeur. Sur le terrain, le temps de l'action. À l'école, le temps de l'analyse, de la réflexion. Les deux sont étroitement liés."

Comme chaque jeune en formation à la maison familiale rurale, Perrine, en terminale pro CGEA, bénéficie
du soutien d'un tuteur. // © Etienne Gless

Pas de professeurs, des moniteurs

Autre particularité : en MFR, pas de professeurs, mais des "moniteurs". Ces derniers font plus que dispenser des cours. Ils accompagnent les élèves dans leur projet professionnel. Par exemple, en période de stage, ils se déplacent dans les entreprises d'accueil pour voir comment les choses se passent. Et ils sont "multitâches". Ainsi, Anthony Willème enseigne-t-il les maths, l'éducation physique, l'informatique ou encore la formation aux premiers secours tout en assurant le suivi de la classe de terminale de la filière SAPAT. "Les moniteurs sont des relais pour les élèves qui peuvent se confier à eux, discuter. Ils jouent un rôle d'éducateur", explique Emmanuel Martin. Et quand le temps de l'étude est terminé, le soir venu, un moniteur est chargé de l'animation des soirées à la veillée !

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Des gages de réussite

"Mon brevet, je ne l'aurais pas obtenu dans un collège public normal. Les classes étaient trop grosses, j'avais du mal à suivre, témoigne Paulin. Ici, le lien avec les formateurs est différent. On est davantage accompagné et orienté. J'ai eu le même tuteur de la 3e à la première. Grâce à lui, j'ai pu améliorer mes notes dans les matières où je présentais des faiblesses, comme en français."

Un sentiment partagé par Perrine, 20 ans, qui effectue son année de terminale pro CGEA en MFR après avoir raté son bac l'an passé en lycée agricole : "Nous sommes 16 en classe au lieu d'une trentaine en lycée agricole. Les professeurs ont le temps de s'occuper de tout le monde. Et les cours sont plus interactifs. Cette année en maths et en zootechnie, je suis beaucoup plus à l'aise", sourit la lycéenne, confiante pour l'obtention de son bac. Tellement confiante qu'elle envisage même une poursuite d'études en BTSA production animales ou DUT techniques de commercialisation ! Et toujours en MFR. Quand on a trouvé la formule éducative qui nous sied...

Marion : "À 20 ans, je suis déjà exploitante agricole"

"Le milieu agricole s'ouvre aux femmes !" Derrière une allure fluette, Marion cache une énorme détermination. La jeune femme de 20 ans s'est formée six ans durant en MFR. "Le système classique ne me convenait pas. J'aurais eu besoin de plus de soutien pour obtenir de meilleures notes."
Marion entre donc en 4e à la MFR de Stenay (55), où elle effectue sa scolarité jusqu'en première. "En arrivant, j'étais dans une classe tous métiers. J'avais 16 semaines de stages. J'en ai effectué un dans la restauration qui ne m'a pas plu : je suis vite retournée dans l'agriculture !"
En terminale, Marion part au Canada anglophone effectuer son stage obligatoire à l'étranger dans la province du Nouveau-Brunswick. "Je faisais de la traite de chèvres, de la fabrication de fromages et de la vente sur les marchés."
De retour en France, elle intègre la MFR de Bras-sur-Meuse. Tout en préparant son bac, la jeune femme s'installe comme exploitante agricole. "Un propriétaire voulait que je rachète sa ferme de 85 hectares avec 65 vaches allaitantes. Il était pressé de partir à la retraite. Nous avons signé un 31 décembre." Malgré son jeune âge, Marion réussit à convaincre une banque de lui accorder un prêt. "En cours, j'avais déjà manipulé beaucoup de documents de gestion et les nombreux stages effectués valaient recommandation professionnelle. Ils m'ont ouvert des portes."
Pas facile cependant de conjuguer entrepreneuriat et études : bien qu'épaulée par son père et son frère sur la ferme lors des périodes de cours et de stage, Marion rate son bac pro conduite et gestion de l'exploitation agricole lors de sa première tentative. Elle l'obtient finalement un an plus tard, en 2016.

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