Reportage

Concours de l’ENM : au cœur de l'épreuve orale d’admission avec quatre candidats

Les étudiants de l’⁦ENM sont formés pendant 31 mois, dont 30% à l’école et 70% en stage.
Les étudiants de l’⁦ENM sont formés pendant 31 mois, dont 30% à l’école et 70% en stage. © Amélie Petitdemange
Par Amélie Petitdemange, publié le 23 novembre 2021
8 min

L’Ecole nationale de la magistrature (ENM), qui forme à Bordeaux les magistrats de demain, sélectionne ses futurs étudiants jusqu'au 25 novembre. L’Etudiant a assisté à l’épreuve d’admission la plus importante aux yeux du jury : la mise en situation collective, suivie d’un entretien individuel.

Pour les quatre étudiants, ce mardi 16 novembre est le dernier jour d’un long marathon. Michel, Paul, Arthur et François* sont candidats à l'ENM (Ecole nationale de la magistrature) et se présentent, stressés mais souriants, aux épreuves orales d'admission.
"C’est un concours affreusement long. Nous avons passé les écrits entre le 31 mai et le 4 juin", lance sans détour Michel, diplômé d’un master de droit. Les oraux ont lieu jusqu’au 25 novembre et les résultats sont diffusés le lendemain.
L'ENM est particulièrement sélective (voir encadré) : à la session 2020 du premier concours, dédié aux diplômés d’un bac+4 de moins de 31 ans, seuls 8% des candidats ont été retenus.

Une mise en situation collective

Aujourd’hui, les candidats passent l’épreuve orale la plus importante, sanctionnée d’un coefficient 6 : la mise en situation collective, suivie d’un exposé et d’un entretien individuel. Les quatre jeunes hommes entrent dans la salle d’examen. Face à eux, un imposant jury de sept personnes : un conseiller à la Cour de cassation, un conseiller d’Etat, un ex-ambassadeur, une ex-procureure, un ex-bâtonnier, un inspecteur général de l’administration et un psychologue clinicien.
Michel tire au sort un sujet. Les candidats ont trois minutes pour le lire puis doivent expliquer leur décision commune en 30 minutes. Le jury évalue la réponse mais aussi la capacité du candidat à communiquer avec aisance, à argumenter, à respecter l’avis de l’autre, et la façon dont il se positionne dans le groupe.
Les quatre candidats prennent la parole sans couper l’autre, les rôles semblent parfaitement définis. "Ils parviennent parfois à s’organiser en amont, ils déduisent leur groupe avec leur jour et heure de passage", souligne Emilie Boddington, magistrate et sous-directrice des recrutements et de la validation des compétences à l’ENM.

Discerner la personnalité des candidats à l'ENM

Au sortir de l’épreuve, Michel est relativement confiant. "Nous aurions pu gagner en efficacité en résolvant les problèmes plus rapidement mais ça s’est bien passé, nous étions tous sur la même longueur d’onde. L’interaction s’est faite naturellement", assure le jeune homme. La difficulté résidait dans la masse d’informations. "Le sujet était long et comportait beaucoup d’informations inutiles, il ne fallait pas s’y perdre".
Robert Parneix, président du jury et conseiller à la Cour de cassation, est globalement convaincu par la prestation du quatuor. "C’était plutôt pas mal, tous les problèmes ont été vus. La parole a circulé librement", nous confie le magistrat.

Pour lui, le défi réside dans la difficulté à discerner la personnalité de chacun. "Leur cursus [quatre à cinq ans d’études de droit et souvent une classe prépa, NDLR] fait que nous avons rarement des personnalités différentes. Nous essayons d’aider les candidats au mérite et les boursiers mais il s’agit bien souvent d’une petite bourgeoisie de province. Il faut un certain capital culturel pour se hisser jusqu’à ce concours. Le réseau permet aussi d’avoir un bon stage ou un cursus à l’étranger", pointe le président du jury. L’ENM a ouvert deux nouvelles prépas Talents cette année, gratuites et dédiées aux boursiers, afin de diversifier son recrutement.

Un entretien individuel axé sur la culture générale et judiciaire

Après la mise en situation collective, les candidats sont appelés un par un pour un entretien individuel. Le candidat doit faire un exposé sur un sujet de culture générale, puis il est interrogé par le jury sur son exposé, sur son éventuel mémoire, sur l’épreuve de mise en situation collective qu’il vient de passer, sur son cursus, mais surtout sur sa connaissance du monde judiciaire.
"Ce n’est pas facile de donner le change à sept membres d’un jury expérimenté pendant 40 minutes. Nous vérifions qu’ils sont au courant de l’actualité judiciaire et qu’ils connaissent l’institution. Il ne s’agit pas de connaissances précises mais d’avoir un sens critique et de connaitre les réformes récentes", explique Robert Parneix.
Le jury cherche plusieurs qualités chez les candidats : curiosité, aptitude à réagir à des questions imprévues, capacité d’adaptation… "Pendant l’oral, ils ne doivent pas hésiter à faire part de leur opinion. Ils ont souvent un ton prudent et convenu, il ne faut pas hésiter à prendre des risques", conseille-t-il.

Connaître l’actualité judiciaire

L’heure du grand oral a sonné pour nos quatre candidats. Après leur épreuve de mise en situation collective, ils ont tiré au sort un sujet de culture générale. Après 30 minutes de préparation, Michel se présente devant le jury. Cintré dans son costume, il s’installe les mains légèrement tremblantes. En dix minutes, il présente son exposé sur le thème "Génocides et crimes contre l’humanité", avant d’être interrogé sur le sujet.
Après quelques questions sur son mémoire de fin d’études, le jury consacre la majeure partie de l’entretien à la culture et l’actualité judiciaire. Michel tente de répondre grâce à son expérience d’assistant de justice au tribunal de Toulon. "Je ne saurais vous répondre", admet-il régulièrement aux multiples questions des sept membres du jury.
"C’est dur de s’auto-évaluer, mais selon moi, il y a beaucoup de moments où je ne savais pas", confie l’étudiant après l’épreuve. Michel est davantage satisfait pour la partie de culture générale.

Candidatures illimitées au concours de l'ENM

S’il n’est pas reçu, Michel ne pense pas retenter le concours l'an prochain. "C’est énormément de temps et d’énergie", admet le jeune homme, qui a révisé seul pendant une année, avec ses cours de l’IEJ (Institut d’études juridiques, qui prépare au concours de l’ENM) de l’année précédente.

A partir de la session 2022, les candidats pourront passer le concours autant de fois qu’ils le souhaitent, contre trois fois maximum jusqu’alors. "C’est très courant que les candidats se présentent plusieurs fois. Cela dit, ceux qui réussissent du premier coup sont majoritaires", souligne Robert Parneix.

Michel conseille aux étudiants qui tentent ce concours très sélectif de "s’entraîner le plus possible dans les conditions les plus proches du réel". "Ne vous découragez pas. C’est long, oui, mais intéressant !".
*Les prénoms ont été modifiés.
Le concours de l’ENM est réformé depuis 2020

Depuis la session 2020, le concours de l’Ecole nationale de la magistrature est modifié. Objectif : alléger le concours, critiqué pour ses épreuves denses et nombreuses. "Les nouvelles épreuves valorisent davantage les compétences pour être magistrat que le bachotage. Certaines dissertations ont par exemple été remplacées par des cas pratiques", explique Emilie Boddington, magistrate et sous-directrice des recrutements et de la validation des compétences à l’ENM. Les candidats passent cinq épreuves d’admissibilité et quatre épreuves d’admission (plus une facultative), contre six puis six avant la réforme. Le détail des épreuves est consultable sur le site de l’ENM.

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