Reportage

Travailler dans le luxe : dans les coulisses d'un 5-étoiles au cœur des vignes

Travailler dans le luxe : un 5 étoiles au cœur des vignes : Alex Remichi, réceptionniste // © Fred Carol/Divergence
Alex Remichi, réceptionniste. © Fred Carol / Divergence
Par Isabelle Maradan, publié le 12 décembre 2014
1 min

Le secteur du luxe compte une large gamme de professions pour des profils divers. Exemple : l’hôtellerie-restauration, où disponibilité et sens du service sont les vrais "diplômes" requis. Reportage aux Sources de Caudalie, hôtel 5 étoiles situé à Martillac, près de Bordeaux.

Et si le luxe, c'était de suspendre le temps ? Aux Sources de Caudalie, un hôtel 5 étoiles situé à 20 kilomètres de Bordeaux (33), aucune horloge murale n'a l'indécence de rappeler aux clients que les heures défilent. Mais, dans les coulisses de ce "palace des vignes" doté de trois restaurants dont un gastronomique, c'est une vraie course contre la montre qui se joue. Objectif ? Faire vivre un moment d'exception aux stars comme à M. et Mme Tout-le-monde.

Un service assuré dès l'aurore

Dès 6 heures du matin, Jovana Vuletic, Anna Maluk et Geoffrey Année, chefs de rang, une petite trentaine d'années, ainsi que Kévin Ouchakoff, 23 ans, demi-chef de rang, entrent dans la salle du petit déjeuner du restaurant la Grand'Vigne, orientée vers l'étang et le potager. Cheveux tirés en chignon, maquillage discret, chemisier blanc, jupe droite recouverte d'un tablier marron tombant sous les genoux, ces dames en talons placent les tasses en porcelaine fleurie sur les tables rondes.

Rasés de près et cheveux coupés court, ces messieurs, pantalon noir et tee-shirt marron clair, disposent là une corbeille de confitures, ici un plateau de saumon. Si l'établissement est complet, c'est 120 clients qu'il faudra satisfaire. L'équipe gère également le room-service, à partir de 7 h 00, "mais, si quelqu'un demande son petit déjeuner en chambre à 6 h 30, on le sert", assure Jovana, arrivée de Serbie il y a deux ans, bac en poche. Geoffrey, chef de rang référent, explique qu'"un diplôme spécifique n'est pas nécessaire pour travailler dans le ser­vice. Ce qui compte, c'est la politesse, la gentillesse et l'envie d'être au service du client".

Un cadre de travail idyllique

"Au service du client… mais jamais à genoux", précise Sébastien Renard, 40 ans, directeur des Sources, responsable d'une soixantaine de salariés. C'est pourtant dans cette position que l'on trouve Jérôme Guivarch, en train de vérifier la qualité des eaux avant que les piscines et le Jacuzzi n'ouvrent leur portes. Vers 11 h 00, il aura entamé les réparations urgentes. "Nous sommes trois ouvriers de maintenance, des hommes de l'ombre. Tout doit fonctionner sans qu'on nous voie intervenir. Et il y a beaucoup d'ampoules ici", plaisante Jérôme. Après avoir travaillé dans la maintenance de distributeurs de billets, ce titulaire d'un bac professionnel maintenance des systèmes mécaniques automatisés s'est formé à "tout ce qui est sanitaire, chauffage, climatisation". C'est un atout majeur, qui lui a permis de décrocher ce poste, il y a un an. Enfant du pays, ce quadragénaire a construit sa maison et sa vie près de cet endroit, qu'il trouve "idyllique".

Cette nuit, seul un bref orage a osé bousculer le silence profond dans lequel dormait le hameau. Avec les premiers rayons du soleil, les fines gouttelettes laissées par l'orage sur le potager scintillent en arcs-en-ciel. Luxe, calme et volupté imprègnent les lieux.

Un tremplin pour les palaces

En cuisine œuvrent là aussi, dès 9h00, des artisans de l'ombre. Une casquette blanche laisse apparaître les boucles brunes de Thomas Barberin, 20 ans. Ce commis de cuisine, titulaire d'un BTS (brevet de technicien supérieur) hôtellerie-restauration, manipule délicatement de fines tranches de courgettes. Ce soir, elles seront carpaccio sous une pièce de turbot, dans une assiette dressée par le chef étoilé Nicolas Masse. Thomas travaille à ses côtés depuis plus de deux ans. Prochainement, "grâce à une recommandation du chef, je partirai au K2, un palace de Courchevel (73) avec un restaurant 2 étoiles", annonce-t-il, un peu ému.

En fin de matinée, deux commis, deux chefs de partie, dont Hugues Mbenda et le sous-chef sont derrière les fourneaux, tandis que la salle du petit déjeuner se mue en restaurant gastronomique. Tables rondes et guéridons valsent pour redéfinir la "carcasse" – le plan de table – en fonction des réservations pour le soir. Des nappes blanches s'élancent dans l'air, avant d'être lissées au fer à repasser et débarrassées de toute aspérité d'un geste vif.

Sur une moquette foncée méticuleusement aspirée, les jeunes chefs de rang se croisent et les plaisanteries fusent. Jovana, Anna, Geoffrey et Kévin, qui ont fait sonner leur réveil à 4h00 du matin, ont bientôt terminé leur service. Ils quittent l'hôtel en début d'après-midi, à l'heure où les nouveaux clients arrivent.

Tous diplômes confondus

Une Rolls Royce immatriculée en Belgique s'avance dans l'allée de l'hôtel. Un couple d'une soixantaine d'années en descend. "Bienvenue à vous ! Attendez, madame, je vais vous aider", lance Clément Filhol, la main tendue vers un imposant bagage. Menton et crâne rasés, le voiturier-bagagiste de 29 ans confie avoir "appris à sourire" et "à laisser tomber l'argot bordelais" depuis quatre ans qu'il est aux Sources. Avant le 5 étoiles, c'était l'usine. La suite logique de son bac professionnel productique mécanique, où il a été orienté à la suite du collège, "parce que c'était compta pour les filles et usine pour les garçons", résume Clément.

Depuis l'obtention de son bac STG (aujourd'hui STMG), il y a dix ans, son collè­gue du même âge, François de Laborderie, a déjà été figurant chez Disney, livreur de dosettes de café, gendarme... Aujourd'hui, il prend place derrière le volant de la Rolls, sa deuxième, depuis son arrivée ici il y a six mois. Destination : le parking de l'hôtel, à 100 mètres. "C'est un gros coup de stress de conduire des voitures aussi luxueuses. Surtout la première fois !"

Le quotidien du voiturier-bagagiste, Alex Remichi le connaît bien. Après son bac S, ce Savoyard de 26 ans a enchaîné quelques saisons à ce poste dans des hôtels 5 étoiles de sa région avant de devenir réceptionniste-concierge aux Suites de la Potinière, à Courchevel, puis de postuler comme réceptionniste aux Sources. Il a choisi le secteur du luxe pour "proposer de belles chambres et des services de qualité dans un cadre agréable". Derrière le comptoir – qui a déjà vu un ex-candidat à la présidence russe régler une note de 200.000 € pour un séjour de 20 jours –, Alex juge la clientèle de ces lieux "particulière mais moins extravagante qu'à Courchevel".

Bastien Chapuzet, pisciniste // © Fred Carol/Divergence

"Comme l'hôtel est au milieu des vignes, les gens ici sont plutôt simples", renchérit Bastien Chapuzet, pisciniste saisonnier. Ce natif de la région, étudiant en arts plastiques à Bordeaux 3, note tout de même que "ce n'est pas la même population qu'à la fac", en jetant un œil sur le bassin. Là, deux trentenaires enchaînent les longueurs de 25 mètres et un père encourage son enfant peu rassuré par sa bouée.

Dans l'intimité des stars

Un spa surplombe la piscine. On y accède par un chemin longeant les ceps. La moitié des clients vient de l'hôtel des Sources, l'autre, de Bordeaux, le temps d'un soin. Élodie Gonzalez, 27 ans, commence par leur proposer une tisane détoxifiante ou de l'eau citronnée en se présentant comme "thérapeute senior", d'une voix caressante.

Après un bac SMS (aujour­d'hui ST2S, sciences et technologies de la santé et du social), la masseuse a débuté dans un salon d'épilation, son BTS esthétique-cosmétique en poche. Elle vient de prodiguer un soin à la diva afro-américaine Barbara Hendricks, qui fait savoir dans le livre d'or qu'elle a apprécié "l'endroit magnifique" et "l'équipe première classe". "En peignoir, on est tous pareils", s'amuse la jeune femme, guère impressionnée par la liste de VIP (very important person) passés par ici. Tom Cruise, Tony Parker, M, Pink ou encore Marion Cotillard et Guillaume Canet… Le directeur, Sébastien Renard, se souvient avoir écourté sa nuit pour en accueillir certains. Des anecdotes, celui qui a débuté sa carrière dans un Relais & Châteaux de sa région après son BTS hôtellerie-restauration, en connaît. Récemment, il a "mis jour et nuit du personnel à disposition d'une princesse royale d'Afrique du Nord", prompte à "déguster un poisson préparé par le chef lui-même, à 2 h 00 du matin".

Réveiller les papilles : tout un art !

Ce genre de caprices fait sourire Sylvie et Daniel Fouque. Monsieur, dirigeant d'une petite entreprise de menuiserie, a offert un séjour aux Sources de Caudalie à madame pour son anniversaire. Pendant le dîner, le couple s'intéresse au parcours de la jeune sommelière.

Née en Charente, "au milieu des vignes du pineau et du cognac", Charlène Meyer, 24 ans, a sillonné très jeune les routes des vins avec son père, un amateur. Munie de sa mention complémentaire sommellerie, la jeune femme a traversé la Manche, à 20 ans, pour assimiler la langue anglaise, "indispensable pour travailler dans le luxe, avec sa clientèle internationale". Attirée par les beaux endroits, "pour le plaisir des yeux et la sérénité des gens qui viennent s'y reposer", elle a ravi les palais des clients du restaurant 3 étoiles du chef Michel Guérard, dans les Landes, avant de venir aux Sources de Caudalie proposer les vins dont les robes habillent le mieux les mets de Nicolas Masse.

À 41 ans, ce chef normand, qui a obtenu son CAP (certificat d'aptitude professionnelle) puis son brevet professionnel tout en travaillant au casino de Deauville (14), aime "faire voyager les gens" et "créer de l'émotion". Ses alliés ? Les produits de saison du potager des Sources et ceux des artisans locaux. Son plaisir ? "Voir dans les yeux des clients qu'ils passent un moment unique", répond celui qui a décroché sa première étoile à 29 ans, après avoir œuvré pour d'autres chefs étoilés.

Nicolas Masse, chef cuisinier // © Fred Carol/Divergence

L'ambiance militaire de certaines cuisines n'a pas droit de cité dans la sienne. À l'heure du coup de feu, Nicolas Masse, peu avare de sourires, parle bas. Sous ses encouragements, Samantha Clarks claque des portes de réfrigérateur et défait des films transparents. En stage ici pour cinq mois, après une formation de 6 mois à l'école Ferrandi, à Paris, elle prépare 24 amuse-bouches destinés à des cadres de La Poste venus ici en séminaire. La cuisine française a changé la vie de cette ingénieure, qui a passé deux ans chez Toyota à Georgetown, aux États-Unis. De quoi rêve aujourd'hui cette Américaine de 23 ans ? D'ouvrir un restaurant français dans son pays.

Une finalité : le plaisir de la clientèle

Entre deux bouchées de turbot sur lit de courgettes, Sylvie et Daniel commentent la gentillesse du personnel et s'étonnent de sa jeunesse. Le couple fait partie de ceux qu'on appelle ici les "voisins". "Des gens ordinaires, qui cassent la tirelire pour un moment d'exception", comme les définit Marie-Christine Ters, 36 ans, responsable du service réservation. Récemment, elle a reçu l'appel d'un jeune homme souhaitant en savoir plus sur la géographie des lieux afin de peaufiner le scénario d'une demande en mariage. D'autres réservent pour le baptême du petit ou le bac du grand.

Ce luxe a un prix. Au "gastro", le premier menu est à 75 €. Une chambre dans ce hameau coûte un quart du SMIC. Une grande suite vaut plus des deux tiers du salaire minimum. Vent du large, comptoir des Indes… Chaque nom de bâtiment, de chambre ou de suite est une invitation au voyage. "On se croirait dans un tout autre pays. Je ne saurais dire lequel…", laisse échapper Sylvie, en longeant l'étang et l'Île aux oiseaux - cabane sur pilotis inspirée de celles du bassin d'Arcachon - pour regagner sa chambre. Après leur voyage De l'océan à la vigne, le nom de leur menu, Sylvie et Daniel trouvent les bougies de la salle de bains et les lampes de chevet allumées, les rideaux tirés, la télévision sortie de son placard et la télécommande placée en évidence.

Marie-Léa Fayerit, femme de chambre // © Fred Carol/Divergence

C'est l'œuvre de Marie-Léa Fayerit, 19 ans, femme de chambre durant tout le mois d'août, de la fin d'après-midi à 22 h 30. De ce job d'été, la toute récente bachelière littéraire gardera l'envie de travailler dans le domaine du luxe, comme coiffeuse. "C'est ce que je veux faire depuis toujours, mais mon père a voulu que je passe le bac pour ma culture générale", explique-t-elle. A la rentrée, Marie-Léa préparera un CAP puis un brevet professionnel, à Bordeaux. Pour l'heure, elle s'envole vers une nuit de fête. "Y a une vie après le boulot !" lance la jeune fille en disparaissant dans la pénombre. Autour du hameau, aucun réverbère n'ose s'opposer à la nuit.

Quelques chiffres
170.000 personnes travaillent dans le secteur du luxe en France. 35 secteurs d'activité (hôtellerie, restauration, vins et spiritueux, parfums et cosmétiques, habillement, accessoires de mode, chaussures, joaillerie, maroquinerie, arts de la table, luminaire, décoration, ameublement…) travaillent avec des marques de luxe. 13 hôtels sont labélisés "palaces" en France.
(Source : le cabinet Colbert)

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