Portrait

Comment je suis devenu juge au Conseil d'État

Vincent dans la salle du contentieux du Conseil d'État.
Vincent dans la salle du contentieux du Conseil d'État. © Catherine de Coppet
Par Catherine de Coppet, publié le 03 novembre 2016
1 min

À 28 ans, Vincent fait partie de l’élite de la plus haute juridiction administrative française : il est auditeur au Conseil d’État, l’instance chargée, entre autres, de régler les conflits entre les citoyens et l’État. Une fonction accessible après un parcours d’excellence et synonyme d’un engagement personnel important.

"Rendre la justice n'est jamais facile, une situation n'est jamais toute noire ou toute blanche. J'imaginais que ce serait plus simple." À 28 ans, Vincent garde un regard étonné sur le métier qu'il exerce depuis presque deux ans : juge au Conseil d'État. La prestigieuse institution installée au Palais Royal, à Paris – que l'on confond souvent avec le Conseil constitutionnel – a pour mission de conseiller le gouvernement sur les lois et décrets et de régler les litiges entre un particulier et l'État, une collectivité territoriale ou un organisme de service public. Il est ainsi "le juge administratif suprême" qui tranche les litiges relatifs aux actes des administrations.

Et ce dans tous les domaines. "Peu de temps après ma prise de poste, j'ai eu par exemple à traiter le cas d'une femme qui souhaitait obtenir le transfert des gamètes de son mari décédé vers un autre pays pour avoir un enfant. Cela donne une idée du caractère épineux des dossiers et de notre responsabilité en tant que juge !", souligne Vincent, qui travaille au "contentieux". "Nous traitons des litiges qui opposent des particuliers, des associations, des entreprises, etc. aux pouvoirs publics. La mission consultative, qui conseille le gouvernement sur ses projets de textes, occupe d'autres membres", précise le jeune homme.

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Juger de façon collégiale

Le contentieux est organisé en dix "chambres", qui correspondent à dix thématiques. Vincent appartient à la 10e chambre, qui traite de fiscalité mais aussi des libertés publiques, comme l'asile. "Une personne qui n'a pas obtenu l'asile auprès de l'OFPRA (Office français de protection des réfugiés et apatrides) peut contester cette décision devant la CNDA (Cour nationale du droit d'asile). Si elle n'obtient toujours pas gain de cause, elle peut alors se tourner vers le Conseil d'État", explique Vincent.

Dans les faits, à l'exception des référés, il ne revient jamais à un seul juge de trancher les litiges : le Conseil d'État fonctionne de façon collégiale, et les procédures de traitement des dossiers sont très encadrées.

En quoi consiste donc le travail de Vincent au quotidien ? "Je suis l'un des rapporteurs de la chambre. Je suis le premier à réceptionner les dossiers que nous devons traiter." Vincent rédige un projet de décision en jugeant si le droit a bien été appliqué dans le problème soumis. C'est le début d'un long processus : son texte chemine ensuite au sein de la 10e chambre pour aboutir, après plusieurs navettes, une séance publique et plusieurs votes, à ce qu'on appelle une "décision du Conseil d'État". "C'est le texte qui tranche le litige. Il a une valeur juridique. Son impact est direct sur les situations. J'aime cet aspect performatif de mon travail", commente le jeune auditeur, qui souligne la force de la collégialité.

Sorti 3e de l'ENA

En fonction de son ancienneté dans l'institution, un juge du Conseil d'État voit sa fonction changer de nom : "auditeur" pendant les trois premières années, il devient ensuite "maître des requêtes", avant de passer dix ans plus tard "conseiller d'État". "Les quatre premières années sont très formatrices, puisque les auditeurs effectuent deux ans et demi côté contentieux, et un an et demi à la fois au contentieux et au consultatif", explique Vincent.

Son quotidien actuel, il le doit à un parcours d'excellence. Après un bac S passé à Nantes, il intègre Sciences po à Paris et valide un master affaires publiques. En 2012, il passe directement le concours de l'ENA (École nationale d'administration). "Ce sont les stages effectués à l'ENA, en ambassade et en préfecture par exemple, qui m'ont donné envie de devenir juge. J'aimais l'idée de trancher des litiges."

Sorti 3e (sur 80) de sa promotion, Vincent avait l'embarras du choix : Cour des comptes, Inspection générale des finances, etc. "Il faut être parmi les dix premiers pour intégrer le Conseil d'État, explique Vincent. J'ai fait ce choix car je souhaitais poursuivre dans le droit et ne pas me fermer de portes pour autant."

De fait, après quatre ans passés au Conseil, nombreux sont les auditeurs à rejoindre l'administration "active" (préfectures, diplomatie, ministères, etc), avant souvent de revenir au Conseil d'État. "Les parcours atypiques sont nombreux. Une fois entré au Conseil, on peut le quitter pour aller occuper des postes à l'extérieur, puis y revenir pour retrouver le métier de juge", commente le jeune homme, qui s'imagine avoir ce type de carrière. Un fonctionnement qui permet, aussi, une réelle diversité des profils au sein des différentes chambres.

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22 dossiers à traiter par trimestre

À son arrivée, Vincent a bénéficié d'une formation technique de dix jours et a été suivi par un "mentor" pendant six mois : "C'est un auditeur qui a deux ans d'ancienneté, à qui on peut se confier facilement". Un coup de pouce bienvenu ! "Les premiers mois ici, je ne faisais pas le malin ! Quand on voit le bagage en droit des plus expérimentés... Mais heureusement, la montée en charge des dossiers à traiter se fait progressivement."

Aujourd'hui, Vincent doit traiter 22 dossiers par trimestre, en organisant son temps de travail comme il le souhaite, à l'endroit qui lui convient. "Je préfère travailler ici", souligne le jeune homme qui admet consacrer de 50 à 60 heures hebdomadaires à son travail. Son salaire – un peu plus de 4.000 € bruts mensuels – comprend une part variable, une spécificité du Conseil d'État par rapport au reste de la fonction publique. Celle-ci est liée à l'objectif des 22 dossiers. "J'arrive à tenir mais c'est une charge de travail conséquente. Il faut toujours trouver l'énergie de repartir sur un nouveau dossier."

Quant au costume, il n'est pas obligatoire. Vincent le revêt deux fois par semaine pour les séances d'instruction ou de jugement, où il doit s'exprimer devant la chambre à laquelle il appartient. "Le Conseil n'est pas l'institution qu'on croit. Sur les 30 personnes de mon open space, environ 20 personnes ont moins de 30 ans", souligne Vincent. Ma voix vaut la même chose que celle d'un ancien préfet, une séance suivie d'un vote peut me donner raison contre, par exemple, le président de la chambre. Et réciproquement... Cela pousse à la modestie !"

Et pour ceux qui n'ont pas fait l'ENA ?

Travailler au Conseil d'État sans avoir fait l'ENA, c'est possible. L'institution recrute par exemple des assistants de justice, qui aident les membres du Conseil (documentation, synthèses, rédaction, etc.). Ces postes en CDD (de deux ans, renouvelables deux fois) sont ouverts à des jeunes diplômés de niveau bac+4, issus de Sciences po ou de cursus en droit. Une bonne façon d'approcher le Conseil pour se faire une idée de comment on y travaille.

Autre possibilité, intégrer un IRA (institut régional d'administration) sur concours et viser, après un premier poste, le Conseil d'État pour certains métiers du contentieux, comme chef du bureau du greffe et de l'information du public. Les attachés de la fonction publique, issus des IRA, peuvent également accéder aux postes de chargés d'études juridiques au sein du centre de recherches et de diffusion juridique ou de chargés de mission au sein de la section du rapport et des études. Ces postes sont également accessibles à des non-fonctionnaires (contractuels), moyennant un niveau M2 juridique.

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