Vis ma vie d'étudiant en conservation-restauration
Ils manipulent des biens culturels vieux de plusieurs siècles, redonnent de la vie à des objets historiques… A l'occasion des Journées européennes du patrimoine, les samedi 16 et dimanche 17 septembre 2023, les étudiants en deuxième année d'études de conservation-restauration à l'École supérieure d'art et de design de Tours nous ouvrent les portes d'une formation peu connue.
Une légère odeur d'éthanol envahit la pièce. Antoine, Mathilde, Paul, Claire-Marie et Louise ne sont pas en blouse blanche et, pourtant, ils ressemblent à de véritables scientifiques. Autour d'eux, des statuts en piètre état attendent patiemment les coups de pinceaux : nous sommes bien dans une école d'art et, plus précisément, l'ancienne école des Beaux-Arts de Tours (37).
Le thème du jour n'est autre que le bois polychromé. Les cinq étudiants, en deuxième année de DNA (diplôme national d'art) mention Conservation et restauration des biens culturels, travaillent depuis plusieurs semaines sur un Christ en croix, bien mal en point.
Après avoir analysé l'œuvre et les matériaux, réalisé un examen stratigraphique et un constat d'état, les conservateurs-restaurateurs en herbe ont effectué des prélèvements. L'heure est donc aux résultats : quels colle, solvant, résine utiliser pour passer au nettoyage et refixage du Christ.
La restauration d'œuvres, entre sciences et arts
Dans l'atelier, les termes techniques fusent : "Vous avez quoi pour le primal ? Je ne sais pas si ça fonctionne avec le mélange eau et solvant ? - Vous tendez vers quoi finalement ? - Primal, aquazol et mowital", expliquent les étudiants à leur enseignante, Marie Gouret. "Il ne faut pas se tromper", glisse Louise.
Il est temps de préparer les mélanges. Sur une balance analytique, chacun verse un peu de solution dans un bécher, comme de véritables chimistes. "En plus des cours d'histoire de l'art, d'anglais, de dessin, sculpture, modelage… ils suivent des cours de physique-chimie", précise Marie Gouret.
Munie de sa pipette d'eau déminéralisée, Claire-Marie confirme : "Les sciences et l'art, ce sont deux filières qu'on oppose souvent et je pense que c'est le métier où elles se rejoignent. C'est très simple à comprendre : il faut qu'on connaisse les produits qu'on utilise pour comprendre ce qu'il se passe. Il faut au minimum apprécier la physique-chimie pour intégrer l'école parce qu'on a beaucoup d'heures et, honnêtement, je n'aurais pas imaginé aller si loin dans ces matières."
"On est des médecins de la matière"
Quelques minutes plus tard, l'enseignante réunit les élèves autour du Christ en bois. "Je vais vous montrer : on fait un pré-mouillage avec de l'eau et de l'éthanol, ça permet de nettoyer les impuretés et de parfaire l'adhésion. Il faut préparer les seringues maintenant."
Telle une infirmière, Marie Gouret "retire la bulle d'air". "L'opération commence dans cinq minutes", s'amuse-t-elle, avant de piquer l'œuvre sous les écailles et insérer la résine. "Chaque œuvre est notre patient, on est des médecins de la matière", résume Claire-Marie.
Restaurer avec humilité
Les étudiants sont concentrés, Louise se lance la première : opération réussie. "Ce qui me plaît c'est d'appliquer la science aux œuvres d'art et de permettre leur pérennité dans le temps. Je trouve que c'est une contribution assez incroyable. On n'est pas des rénovateurs, on n'applique pas notre vision des choses sur l'œuvre. C'est un métier qui demande de l'humilité, de faire passer l'œuvre avant l'individu et notre perception de l'art aujourd'hui. L'œuvre passe toujours devant", estime-t-elle.
La restauration de cette pièce doit encore nécessiter plusieurs heures de travail, "mais à cinq ça devrait aller", assure Paul. En troisième année, les étudiants devront restaurer leur propre œuvre : une sculpture, un vêtement, un lavoir, un traineau, etc. qu'ils présenteront en fin d'année pour valider leur DNA. Tout un chantier !