Reportage

Campus des Transitions : un Sciences po "vert" à Caen

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campus des transitions © Agnès Millet
Par Agnès Millet, publié le 06 avril 2023
8 min

Situé à Caen, le Campus des Transitions de Sciences po Rennes forme 150 étudiants aux questions d'urbanisme durable, de concertation et de droit des générations futures. Ce site de l'IEP rennais propose une pédagogie à la coloration atypique, imprégnée de design et de culture nordique. Reportage.

En ce frais après-midi de mars, sur la presqu'île de Caen, un élu ceinturé de son écharpe tricolore coupe fièrement le cordon du futur chantier d’une tour de 234 étages. Nous sommes en 2050 et l'élu annonce des travaux menés en seulement 12 semaines, sans aucun ouvrier. Très vite, une voix de femme s’élève de la foule. "Vous ne représentez pas les Presqu'îliens !" Et scande, au mégaphone : "nous sommes des citoyens responsables, nous ne voulons pas d'un monde périssable!" La foule se saisit de l’édile et de l’investisseur.

campus des transitions caen
campus des transitions caen © Agnès Millet

Cette performance théâtrale dystopique, c’est le projet d'un groupe d’étudiants de l'université de Caen, de l'École supérieure d’arts & médias de Caen/Cherbourg (ésam) et de Sciences po Rennes.

Des projets pour "embarquer des populations dans un projet d'aménagement"

Dans le cadre de la "Pépinière des transitions", en collaboration avec les (vrais) élus, le projet donne lieu, ce lundi, à une restitution plus formelle, devant un jury. Chaque groupe présente sa méthode, ses difficultés d'organisation et le fruit de son travail (théâtre, maquette ou événement) sur une thématique liée au futur de la presqu'île, un territoire urbain aujourd'hui marginalisé mais en pleine redéfinition.

Biodiversité, mémoire du patrimoine industriel, valorisation des habitants… Autant d'enjeux centraux pour les étudiants de 4e année de Sciences po Rennes qui étudient sur le site caennais, dédié aux thématiques de l'innovation urbaine, de la concertation et des générations futures. Ils ont intégré le campus via l'IEP de Rennes ou un concours réservé à des CPGE associées. Dès cette année, tous les titulaires d'une L1 pourront se porter candidat via un nouveau concours national.

Ouvert en 2012 et baptisé Campus des Transitions en 2020, il accueille aujourd'hui 150 étudiants, de la 2e à la 5e année. "D'abord thématisé sur l'énergie - notamment le nucléaire - notre campus a évolué et a été l'un des pionniers dans le développement durable et les transitions", rappelle Nicolas Escach, directeur du campus depuis 2019. "Nous travaillons sur la façon dont on met en place les transitions différemment selon les territoires mais aussi sur la question de la concertation, c'est-à-dire le fait d'embarquer des populations dans un projet d'aménagement."

Des étudiants engagés sur les enjeux de développement durable

Matis, en 5e année, ne connaissait pas le campus caennais lorsqu'il a intégré l'IEP de Rennes. En effet, le lien à la maison-mère peut sembler difficile à percevoir tant le campus vibre à son propre tempo, avec ses thématiques et sa culture. Intéressé par les questions de ville et de citoyenneté depuis longtemps, c'est durant la crise sanitaire que Matis se tourne davantage vers les enjeux de développement durable. "Je ne me voyais plus faire un autre métier" : il rejoint alors le campus caennais pour son M1.

Faut-il être militant pour étudier dans ce campus ? À tout le moins, la plupart des élèves sont passés par une prise de conscience donnant l’envie d’agir. "J'ai choisi ce cursus pour des raisons militantes et politiques. Pour moi, l’écologie est fondamentalement politique. Il ne s'agit pas que de planter des arbres et dépolitiser. Il y a des conflits et des enjeux de pouvoirs", tranche Mathis.

Sa camarade, Candice, a intégré le campus, après avoir réussi un concours d'accès direct en deuxième année. "Je voulais me former à ces questions car je sentais l'urgence et j'étais frustrée de ne pas savoir comment agir". Si, au début, la réalité de la situation écologique présentée en cours a été une claque, elle loue la solidarité et la qualité des relations entre les étudiants.

L'articulation du politique
Si le directeur du campus réfute l'idée de thématiques partisanes et défend la neutralité des enseignements dispensés, le politique n’est pourtant pas loin. Depuis 2020, le Caennais, diplômé de l'ENS Lyon, assure un mandat de maire-adjoint à la ville durable. Comment concilier ces deux casquettes? "C’est à moi d’être très vigilant", répond Nicolas Escach.

Une pédagogie basée sur le groupe, l'immersion et la culture nordique

Car, le travail de groupe est au cœur de la pédagogie, avec beaucoup d'autonomie laissée aux étudiants. "Ce n’est pas que je ne sais plus travailler seule, c’est que je ne le veux plus", affirme l'étudiante de 23 ans.

Autre inspiration pédagogique : les pays nordiques, au travers notamment de partenariats avec différentes structures - l’université du Groenland, l’Académie de la culture de Lettonie, l’Université technique de Riga et l’Université norvégienne pour les sciences de la vie d’Oslo. Ainsi, cet automne, les étudiants ont embarqué sur un voilier, de Caen jusqu’aux îles danoises, pour mener des projets. C'est l'autre particularité du campus : la dimension immersive est centrale pour l'établissement. "Apprendre et agir en même temps", résume le directeur.

Le dernier point saillant réside dans la confrontation aux autres disciplines. Durant leur cursus, les étudiants se frottent aux arts, à la culture, aux sciences mais aussi à l'aspect technique et expérimental. "Nous voulons que nos élèves ne soient pas seulement dans la conception théorique mais qu'ils fassent vraiment, qu'ils développent une pensée pratique, technique", indique Nicolas Escach.

Des futurs urbanistes "à la pointe des sujets de transition"

Curieux, analytiques et à l’esprit critique affirmé, les étudiants de 5e année du master stratégies innovantes des territoires urbains suivent, ce mardi matin, une formation de trois jours sur la place du vélo en ville, intitulé "Changer de paradigme : infrastructures pour tous les types de cyclistes et micro-design".

Clotilde Imbert, urbaniste et directrice du cabinet Copenhagenize spécialisé sur cette question intervient depuis deux ans. "Il y a une ambiance particulière dans ce campus, tout le monde ose poser des questions car il y a une vraie qualité d’écoute. Les réflexions de ces étudiants me rassurent : la prochaine génération d’urbanistes sera à la pointe des sujets de transitions", estime-t-elle. Et de rappeler que les besoins de formation dans ces secteurs sont très importants en France. "J'ai moi-même des difficultés à recruter", témoigne-t-elle.

Tripler les effectifs étudiants

Pour résoudre cette équation, le campus des transitions de Sciences po Rennes veut tripler ses effectifs, pour atteindre 450 étudiants, entre 2025 et 2030. "Nous allons ouvrir un deuxième site : nous ciblons la Presqu’île où nous voulons investir un tiers-lieu, qui serait agrandi pour nous accueillir. Nous serions le premier site national d'un IEP à ouvrir dans un tiers-lieu. De quoi renforcer les possibilités pour nos élèves de s'initier au prototypage, à la low tech, mais aussi à la médiation avec le public", résume Nicolas Escach.

"C'est déjà le cas dans notre campus de centre-ville. Il est rare que les projets des étudiants finissent sur une étagère. Ils sont exposés et les étudiants rendent compte à la population de ce qu'ils font. On veut que l'IEP soit un espace d'interprétation et d'analyse du territoire et nous voulons davantage ouvrir les murs".

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