Témoignage

"Certains matins, je me réveillais et je fondais en larmes", le mal-être des externes en médecine face aux ECN

Le rythme effrené de la sixième année d'études de médecine épuise les futurs soignants.
Le rythme effrené de la sixième année d'études de médecine épuise les futurs soignants. © famveldman / Adobe Stock
Par Léa Fournier, publié le 13 mars 2023
6 min

Pour avoir le meilleur classement possible et ainsi obtenir la spécialité de leurs rêves, les étudiants en sixième année de médecine fournissent un travail acharné pour les épreuves classantes nationales (ECN). Parfois au prix de leur bien-être psychologique.

Du 13 au 17 mars 2023, les externes en médecine planchent sur les ECN blanches. Mais pour eux, la course contre la montre a débuté il y a des mois. Avec plus de 40 heures de révisions par semaine, qui viennent s’ajouter à 20 heures de stage aux urgences, Guillaume* s’impose un rythme strict pour réussir les épreuves classantes nationales (ECN), propres aux étudiants en sixième année de médecine. "Ce classement détermine la spécialité qu’on exercera toute notre vie et le lieu où on sera formé pendant un certain nombre d’années, explique l’externe de 27 ans. C’est décisif pour notre futur."

Un rythme intense pour avoir la spécialité et le lieu de son choix

Quelque 9.000 futurs médecins passent chaque année les ECN. Elles auront lieu du 19 au 21 juin prochains et ce seront les dernières à être organisées comme telle avant la réforme.

Pour atteindre son objectif – se spécialiser en chirurgie maxillo-faciale – Guillaume estime qu’il devra arriver parmi les 900 premiers. "Je ne le sens pas très bien, je n’ai pas assez travaillé", affirme-t-il, fataliste. S’il ne réussit pas, il se rabattra sur la médecine générale, accessible à tous quel que soit le résultat obtenu. Il aimerait au moins obtenir un classement suffisant pour choisir son lieu de stage.

Pour mettre toutes les chances de son côté, il va "mettre sa vie personnelle de côté". Guillaume ne s’autorise qu’une courte virée au bar avec ses amis, deux samedis par mois. Il ne voit presque pas sa famille. Heureusement, il vit avec son copain, qu’il voit donc quotidiennement.

Une pression psychologique difficile à gérer face aux ECN

Ce qui lui permet de tenir : "Compter les jours : il en reste 106 avant les ECN. Ensuite, ce sera fini." Malgré cette échéance, son rythme effréné pèse sur le moral et la santé de l’étudiant. "Je prends des antidépresseurs et si je ne prends pas mes anxiolytiques pour dormir, je suis fatigué et je ne travaille pas bien."

Après une année de stress intense, Clothilde, elle, a désormais réalisé son rêve : à 25 ans, elle est interne en néphrologie à Angers. En 2022, elle a passé les ECN. "Je voyais des gens en avance par rapport à moi sur leur programme de révisions. Ça me mettait la pression."

La dernière année d’externat a été très dure psychologiquement pour la jeune femme. "Certains matins, je me réveillais et je fondais en larmes. Je ne pouvais pas aller à la fac tant que je n’avais pas fini de pleurer, se remémore-t-elle. Parfois, je ne pouvais pas me lever. J’étais trop fatiguée. J’ai aussi pris du poids à cause de la sédentarité."

La culpabilité de ne pas en faire assez

Chaque jour, Clothilde commençait à travailler entre 8 et 9 heures du matin, jusqu’à 22 ou 23 heures. Le tout en s’autorisant maximum deux heures et demie de pause, y compris les week-ends. Le samedi soir seulement, elle se reposait en regardant une série… Non sans pression : "Quand tu prends du temps 'off', tu culpabilises et tu te dis que tu aurais dû bosser."

Cette culpabilité, Jean-Baptiste aussi l’a ressentie. Désormais interne en médecine générale en Bourgogne, il a vécu une année 2022 "très compliquée et très longue". "Entre le mélange de fatigue et de saturation, plus rien ne rentrait, raconte-t-il. J’ai compris petit à petit que je n’allais pas avoir mon objectif. Du coup, j’étais de plus en plus anxieux. Alors que j’étais incapable d’accélérer mon rythme de travail et que je savais que je ne pouvais pas faire mieux."

En plus de la pression, Jean-Baptiste s’est heurté à un ras-le-bol. "J’en avais marre. J’avais de plus en plus de mal à passer du temps dans mes bouquins et à me concentrer. Je n’avais qu’une envie : terminer cette année d’ECN." Il a dû adapter sa méthode de travail, en révisant moins ses cours et en choisissant de faire des concours blancs ou d’écouter des conférences.

Lâcher du lest pour ne pas flancher

Jean-Baptiste et Louis, 24 ans, externe à la fac de Nancy, ont adopté la même stratégie pour ne pas flancher : lâcher du lest. Le premier a fait "énormément de sport". "Trois ou quatre heures par semaine. Ça me faisait du bien, ça me vidait la tête. Et je prenais le temps de voir ma copine le soir et mes amis le week-end."

De son côté, Louis, aspirant médecin généraliste, a décidé de ne pas mettre "sa vie de côté". Il continue à voir ses proches, joue aux jeux vidéo, passe des heures sur YouTube, fait du volley deux à trois fois par semaine… Même s’il le reconnaît : "Vouloir faire médecine générale est un avantage psychologiquement. J’ai envie de faire un bon classement seulement par satisfaction personnelle."

*Le prénom a été modifié.

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