Reportage

Études de santé : à Angers, des comédiens forment les futurs médecins

La simulation en santé, vue depuis les coulisses
La simulation en santé, vue depuis les coulisses © Martin Rhodes
Par Martin Rhodes, publié le 28 novembre 2017
6 min

Au CHU (centre hospito-universitaire) d’Angers, les internes en médecine se frottent à la simulation d’annonce, une méthode pédagogique qui les plonge dans une situation réelle sans risque pour les patients et les soignants. Avec une idée phare : plus on est acteur, mieux on retient.

En chemin, Isabelle se remémore ce qu’elle a prévu de dire en guise d’introduction ainsi que les points à ne surtout pas oublier. Elle tient dans sa main le terrible diagnostic. Les parents, âgés d’une quarantaine d’année, discutent tranquillement dans la salle d’attente. Dans quelques minutes, elle leur annoncera que Mathilde, leur petite fille âgée de 6 ans, leur seul enfant, est atteinte d’un cancer. Isabelle est pâle comme un linge, mais elle se lance. Cela fait partie du métier de pédiatre.

Tout est faux. Les parents de Mathilde sont des comédiens semi-professionnels du CHU (centre hospito-universitaire) d’Angers. Isabelle, 25 ans, est en première année d’internat de pédiatrie. Nous ne sommes pas à l’hôpital mais au centre de simulation en santé et l’entretien va se dérouler dans une chambre de patient et un bureau reconstitués. On fait donc comme si. Mais l’appréhension et l’émotion des internes sont bien réelles.

Depuis la réforme du troisième cycle, mise en œuvre à la rentrée 2017, la simulation relationnelle est inscrite dans le programme des études de médecine. Elle vise à former les étudiants à la communication et à la psychologie, en inculquant les différents mécanismes de défense, mais aussi en donnant des pistes et des outils pour être moins déstabilisé au moment d'annoncer une maladie grave.

Fausse consultation, vraie émotion

"Après vous." Isabelle conduit les parents de Mathilde dans une salle de consultation truffée de caméras et de micros. Personne n’est autorisé à entrer pour coller à la réalité. La scène est diffusée dans une pièce attenante sur un écran de télévision coupé en deux. D’un côté les parents, de l’autre la jeune interne. Stéphanie Proust – praticienne hospitalière au service d'onco-hémato-immunologie pédiatrique – et Ingrid Cartier – psychologue de coordination en cancérologie au CHU d’Angers –, ne ratent pas une miette de l’expression du visage, de la gestuelle et des paroles d’Isabelle.

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Assise derrière son bureau, Isabelle revient calmement sur l’hospitalisation de Mathilde. Son état de santé s’est beaucoup dégradé ces dernières 48 heures : augmentation du volume de l’abdomen, apparition d’une toux et d’un liquide autour des poumons, propagation des cellules anormales… La petite fille est désormais aux urgences pédiatriques du CHU, en détresse respiratoire. Les parents s’agitent, ils veulent savoir : "Ce n’est pas vrai, où voulez-vous en venir ? C’est une infection ?" Isabelle reprend, la voie cassée : "Votre fille a un lymphome de Burkitt, un cancer du sang. Je suis sincèrement désolée". Le diagnostic est atroce et les parents s’effondrent. La gorge nouée par l’émotion, Isabelle ne dit plus un mot. Elle semble avoir oublié qu’il s’agit d’un exercice.

Sortir de la fiction

Quelques minutes plus tard, Isabelle, visiblement sonnée, rejoint les deux professionnelles de santé dans la salle de débriefing. La psychologue peut notamment aider à mettre des mots sur des sensations ou des émotions. Trois chaises ont été disposées en rond, très proches les unes des autres. "J’ai l’impression d’avoir raconté n’importe quoi. C’était très déstabilisant", bafouille l'interne. Stéphanie Proust la rassure et l’aide à sortir de la fiction : "Tu n’étais pas dans une situation réelle. L’exercice n’aura donc aucune conséquence". Isabelle s’en est plutôt bien tirée. Elle a pris soin d’exposer les différents symptômes, examens médicaux et traitements. Elle a reformulé, marqué des pauses, et surtout redonné espoir aux parents abattus.

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Les deux acteurs du CHU entrent alors dans la pièce. Elle est aide-soignante dans une unité de soins palliatifs, il est chargé de relation client au centre de formation des professionnels de santé. Leur avis est important. Une annonce peut être vécue et ressentie différemment par les protagonistes. Isabelle a trouvé le ton juste, mais elle s’est laissée déstabiliser par la question, très fréquemment posée à l’hôpital : "Docteur, prescririez-vous une chimiothérapie à votre propre enfant ?"

"Il y a erreur, où est mon fils ?"

Isabelle regagne son service un peu chamboulée. Elle est remplacée par Morgane, 29 ans, en dernière année d’internat. L’étudiante a pourtant encore du mal à ne pas se laisser submerger par l’émotion des parents. Changement de scénario et de comédiens. Le père du petit Jules (3 ans et demi) entre dans la salle de consultation en trombe : "Le secrétariat m’a demandé de monter en cancérologie. Qu’est-ce que cela veut dire ? Il y a erreur, où est mon fils ?" Morgane sera bientôt médecin et Stéphanie Proust a demandé aux comédiens de ne pas mettre de gants. Comme dans la réalité.

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