Découverte

Souvent mal vue, la spécialité psychiatrie est loin d'être un choix par défaut pour les étudiants en médecine

En 2023, sur les 547 places d’internat pourvues pour la spécialité psychiatrie, 67 n’ont pu être comblées.
En 2023, sur les 547 places d’internat pourvues pour la spécialité psychiatrie, 67 n’ont pu être comblées. © KMPZZZ / Adobe Stock
Par Yslande Bossé, publié le 15 février 2024
7 min

À en croire le nombre de places en internat laissées vacantes depuis une dizaine d’années à l’issue des épreuves classantes nationales (ECN), la psychiatrie pâtit d’une désaffection de la part des futurs internes, souvent par peur et méconnaissance. Mais, contrairement aux idées reçues, les étudiants font le choix de cette discipline le plus souvent par envie et non par dépit.

Le point de bascule date de l’année 2012. Les ECN sont passées, les étudiants en médecine doivent choisir leur affectation pour leur rentrée en internat. Mais pour la première fois depuis 2004, tous les postes offerts en psychiatrie ne trouvent pas preneur.

"Globalement, jusqu’en 2018, entre 1 à 3% des postes restaient vacants, détaille Nicolas Doudeau, président de l’association française fédérative des étudiants en psychiatrie (Affep). En 2019, cette dynamique a commencé à poser questions car il y a eu 74 internes en moins qui ont choisi la spécialité, avec un total de 17% de postes vacants."

La psychiatrie, une spécialité désavouée

Et cela ne s'est pas arrêté. Alors qu’en 2023, sur les 547 places d’internat offertes, 67 n’ont pu être comblées, une récente enquête d’opinion réalisée pour le Collège national des universitaires de psychiatrie (CNUP) met en évidence les mythes et idées reçues dont souffre la spécialité et le métier de psychiatre.

Parmi les étudiants en médecine, 62% considèrent la psychiatrie comme étant moins prestigieuse que d’autres disciplines, et 37% déclarent "avoir peur de la spécialité". Un constat partagé par Maëva Musso, présidente de l’association des jeunes psychiatres et jeunes addictologues (AJPJA) : "Un étudiant sur cinq pense que les personnes avec des troubles psychiatriques sont plus souvent dangereuses que moins dangereuses alors que c’est l’inverse. Ce sont des idées reçues."

La discipline reste mal vue

La spécialité est-elle vouée à être le parent pauvre des études de médecine ? Il faut dire que les préjugés ont la vie dure dans cette discipline. "Il ne lui restait plus aucune spé, alors il a pris psy", "En faisant psychiatrie, on perd le lien avec la médecine somatique", "Les personnes atteintes de troubles psychiatriques sont souvent attachées", etc. Comme le montrent les premiers résultats d’une enquête nationale co-réalisée par l’Affep, l’association nationale des étudiants en médecine (ANEMF) et l’association des jeunes psychiatres et jeunes addictologues (AJPJA), ces clichés proviennent tant des étudiants, que de leur entourage et de la société dans son ensemble.

Sarah, 32 ans, cheffe de clinique en psychiatrie de liaison, au centre hospitalier Henri Laborit à Poitiers, les a tous entendus durant ses premières années d’études de médecine effectuées à Caen. "Au début, je n’étais pas forcément à l’aise pour dire que je voulais faire de la psychiatrie parce que c’était mal vu. Ceux qui prennent cette spécialité sont catégorisés comme étant de mauvais médecins qui ont fait ce choix par défaut."

Une "révélation" pour certains étudiants en médecine

Les idées reçues autour de la spécialité, Valentin, aujourd'hui interne en psychiatrie, confie lui aussi y avoir été confronté. "Ce serait mentir que de dire que je n’avais pas d’a priori. Si je regarde plusieurs années en arrière, par méconnaissance, il m’est déjà arrivé de me sentir mal à l’aise lorsque je croisais des patients atteints d’une pathologie psychiatrique. Mais depuis que j’ai débuté l’internat, ces craintes ont disparu, je me rends compte que chaque patient a une histoire qui lui est propre."

Au départ, l'étudiant n'avait pas envisagé la psychiatrie pour son internat de médecine. Il plébiscite la spécialité médecine d’urgence mais s'aperçoit que cela n’est pas fait pour lui. "J’étais à la recherche d’une spécialité avec un rythme 'fixe' de travail et avec une possibilité d’exercice variée, le tout avec l’envie de pouvoir suivre mes patients", détaille-t-il.

Valentin hésite alors avec la médecine générale mais opte pour la psychiatrie. Juste avant les ECN, son stage de sixième année en psychiatrie-addictologie a été une "révélation". "J’y ai découvert les entretiens motivationnels, la place importante des comorbidités psychiatriques dans les troubles addictifs et je me suis senti épanoui grâce à une équipe bienveillante."

Un stage obligatoire pour mieux appréhender la psychiatrie ?

Comme le montrent Sarah et Valentin et plus généralement, les résultats de l'enquête nationale, faire de la psychiatrie n’est donc pas un choix par dépit. Pour 82% des étudiants interrogés par l'Affep, l'ANEMF et l'AJPJA, la spécialité était même un premier choix. Aujourd’hui, Sarah, la cheffe de clinique, travaille en psychiatrie de liaison et s’épanouit en tentant d’offrir un "soin pluridisciplinaire" à ses patients.

Mais elle déplore toujours "l’étiquette stigmatisante" posée sur le patient qui présente des symptômes psychiatriques. Pour y remédier, elle préconise un passage en stage en psychiatrie obligatoire pour tous les étudiants. "Cela leur permettra d’être à l’aise sur l’interrogatoire et d’apprendre à recueillir la tristesse des patients."

L’influence du stage est d'ailleurs mise en avant par l'enquête du CNUP. La "peur" des étudiants vis-à-vis de la psychiatrie passe de 37% à 24% chez ceux qui ont déjà effectué un stage dans cette discipline. "Si les étudiants qui font un stage en psychiatrie dans leur cursus prennent plus cette spécialité, c’est qu’il y a une influence très importante de la formation", assure Maëva Musso de l'AJPJA.

Selon le président de l’Affep, ces données démontrent aussi "l'enjeu à communiquer sur le contenu de la spécialité et sur l’impact du stage, très formateur pour les externes. Quand ils passent en psychiatrie et qu’ils sont bien encadrés, tous les stéréotypes tombent pour eux."

Une spécialité qui ne s'apprend pas dans les livres

Pour améliorer l’attractivité de la spécialité psychiatrie et mettre à mal les représentations faussées des étudiants en médecine, l’AJPJA, l’Affep et l’ANEMF publieront durant l’année 2024, des conclusions détaillées de leur enquête.

"La finalité de notre action est d’agir à tous les niveaux contre la stigmatisation dont fait l’objet la spécialité et les patients, à la fois pour des questions d’attractivité mais aussi des questions d’accès à des soins, plus adaptés et plus éthiques", développe Boris Nicolle, vice-président de l’AJPJA.

Du côté de l’Affep, en plus des stages, c’est la formation par la simulation qui est préconisée. "La psychiatrie est difficile à transmettre à travers les livres, surtout à quelqu’un qui ne connaît pas la discipline, commente Nicolas Doudeau. Il faudra donc faire appel à des patients experts ou des médecins qui se prêtent au jeu de la simulation pour apprendre à un externe, par exemple à prendre en charge une personne en situation de crise."

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