Décryptage

"Je ne me sentais pas à la hauteur" : témoignages de jeunes diplômés sur le syndrome de l'imposteur

Le syndrome de l'imposteur toucherait 75% des femmes, contre 50% des hommes, selon les données des Assises de la parité 2021.
Le syndrome de l'imposteur toucherait 75% des femmes, contre 50% des hommes, selon les données des Assises de la parité 2021. © TA design / Adobe Stock
Par Rachel Rodrigues, publié le 05 février 2024
5 min

Malgré leur niveau d'études ou de diplôme, de nombreux jeunes se sentent illégitimes ou pas suffisamment au niveau lors de leurs premières expériences professionnelles.

Il y a quelques mois encore, Lara n'osait même pas utiliser le terme de collègues pour parler des personnes avec qui elle travaillait. "Pour moi, ils avaient plus d'expérience, on ne pouvait pas nous comparer", décrit-elle.

La jeune psychologue, en poste en CDI dans une association d'aide au logement pour les personnes souffrant de troubles psychologiques, n'est pas la seule à se faire ce type de réflexion. De manière générale, 70% de la population serait concernée par ce syndrome de l'imposteur au cours de sa vie, d'après le Journal of Behavioral Science.

Attention cependant : selon Nicolas Neveux, ce syndrome de l'imposteur ne recouvre aucune pathologie scientifique. "Cela correspond plutôt à l'équivalent d'une pensée : celle de ne pas être légitime, de ne pas être au niveau ou de ne pas avoir les compétences", précise le psychiatre.

Un syndrome de l'imposteur plus fort chez les jeunes diplômés

Comme Lara, Charlotte a aussi pensé ne "pas être à sa place", lors de sa première expérience professionnelle. "Pendant longtemps, ta valeur c'est une note : quand tu retranscris ça dans le monde du travail, ce n'est pas pareil", affirme l'ancienne étudiante en droit

La jeune juriste se souvient de l'écart entre l'aspect théorique de ses études et la pratique qu'elle a découvert dans le cadre de son stage, en préfecture : "c'est tout de suite plus concret d'appliquer le droit dans le monde réel, sur des personnes qui existent", détaille-t-elle. Charlotte admet avoir manqué de confiance en elle, surtout au début : parfois, "je ne me sentais pas à la hauteur".

D'après Pauline Freiermuth, psychopraticienne et autrice du livre Non au syndrome de l'imposteur, les néo-diplômés doutent davantage de leurs compétences lors de leur premier emploi. "En raison de leur manque d'expérience, ces jeunes professionnels ont du mal à se situer par rapport aux autres, et à s'auto-évaluer", explique-t-elle.

Apprendre à s'imposer

Le problème, c'est que ce sentiment de doute peut devenir paralysant. "Il arrive qu'on demande de l'aide à des collègues parce qu'on appréhende de faire un geste médical, et qu'on a peur de faire une bêtise", confirme Enzo, infirmier de 25 ans.

Ce syndrome de l'imposteur peut aussi empêcher les néo-diplômés de s'imposer. "Je ne parle que quand c'est à moi de parler", convient Lara qui souvent, se retient de donner son avis. "Je me dis que ce n'est pas intéressant, et au final, quelqu'un d'autre donne la même idée", admet, la jeune psychologue.

Pour le psychiatre Nicolas Neveux, cette auto-censure est due à une forme de "dictature émotionnelle" où le "scénario catastrophe" l'emporte. "Pour éviter toute émotion désagréable, les personnes (concernées par ce syndrome) vont préférer ne rien faire, plutôt que de s'exposer à l'échec", détaille-t-il.

Une peur bloquante, qui peut également se retranscrire dans l'aspect relationnel de la vie en entreprise. "Je faisais ce qu'on me demandait, mais je n'arrivais pas à prendre les devants avec mes collègues", se remémore Léa*, à l'époque en stage dans une grande radio française. "Il fallait montrer qu'on savait des choses, et qu'on était drôle, et j'avais l'impression de ne pas y arriver."

Se comparer aux autres

En plus du manque d'expérience, l'origine sociale peut aussi influer sur le sentiment d'illégitimité. C'est ce qu'a ressenti Léa*, pour qui les autres stagiaires étaient plus à l'aise. "C'était comme s'ils avaient plus de facilité, les bons codes culturels et sociaux pour que tout se passe bien", détaille la diplômée d'IEP (institut d'études politiques) de 24 ans.

Cette tendance à la comparaison a aussi un impact sur les jeunes professionnels. C'est ainsi qu'aux yeux de Charlotte, sa collègue avait l'air de "tout savoir sur tout" ou que pour Marine, ancienne étudiante dans une grande école d'arts appliqués, "tout le monde avait un meilleur vocabulaire ou plus de références qu'elle".

"Le risque de trop en faire"

D'après Pauline Freiermuth, les jeunes diplômés ont été dans une dynamique de performance pendant leurs études. Résultat : ils attendent beaucoup du regard des autres, "et vont même avoir tendance à être obsédés par ce qu'on va penser d'eux", précise-t-elle.

Pour combler le manque qu'ils pensent avoir, ils peuvent parfois tomber dans le perfectionnisme. "Il m'est arrivé plusieurs fois de rester tard le soir pour améliorer mon travail", illustre ainsi Charlotte.

Une habitude qui peut être contre-productive. "Le risque de trop en faire, c'est de perdre en efficacité, en prenant plus de temps sur des tâches simples", ou d'en oublier la légèreté nécessaire à la bonne intégration dans l'équipe, affirme la psychopraticienne. La bonne nouvelle, argue-t-elle, c'est que ce syndrome de l'imposteur a tendance à disparaître avec le temps et l'expérience.

Les femmes particulièrement concernées

Le syndrome de l'imposteur a tendance à toucher plus souvent les femmes que les hommes, rappelle Pauline Freiermuth. Et pour cause, il toucherait "75% des femmes, contre 50% des hommes", précise la psychopraticienne, en s'appuyant sur des données des Assises de la parité 2021.

Ce constat est lié, selon elle, à la place des femmes dans la société, depuis des millénaires. "On a toujours enseigné aux petites filles à être dociles, sages, gentilles", détaille-t-elle. "Pendant ce temps-là, on a appris à leurs petits frères à viser le succès, la réussite". Résultat : les femmes doivent, une fois adultes, déployer plus d'énergie pour se sentir légitimes "pour elles, pour leur famille et pour la société".

*Le prénom a été modifié

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