Découverte

Festival d’Avignon : l’art de "critiquer" les pièces de théâtre

Comme leurs aînés, les étudiants en master Théâtre et patrimoine apprennent et rédigent des critiques de pièces de théâtre.
Comme leurs aînés, les étudiants en master Théâtre et patrimoine apprennent et rédigent des critiques de pièces de théâtre. © Pauline Bluteau / L'Etudiant
Par Pauline Bluteau, publié le 16 juillet 2021
7 min

Depuis le 5 juillet, le festival d’Avignon bat son plein pour sa 75e édition. Pour l’occasion, les étudiants en master Théâtre et patrimoine doivent rédiger des critiques de pièces, comme La Cerisaie, tête d’affiche de la cour d’honneur qui ne semble pas faire l’unanimité. Rencontre avec les apprentis-critiques.

Le dernier cours de l’année commence un peu comme il a commencé dix mois plus tôt : un professeur derrière son ordinateur face à quelques étudiants en présentiel et d’autres à distance. "Vous avez pu voir quelques pièces ? On va peut-être se concentrer sur Kingdom et La Cerisaie puisque la plupart d’entre vous les ont vues." Ce cours d’initiation à l’analyse du théâtre, les 15 élèves de master 1 Théâtre et patrimoine à l’université d’Avignon (84) y sont maintenant habitués.

Tous férus d’arts du spectacle, les étudiants vivent le retour des festivals et des pièces de théâtre dans cette ville très emblématique comme une chance. Mais désormais, ils ne comptent plus parmi les simples spectateurs, leur regard avisé sur la scénographie, l’interprétation des comédiens et l’ambiance du spectacle leur permet d’ouvrir le débat et surtout de critiquer les pièces. Les commentaires y vont d’ailleurs de bon train…

Critiquer en s’appuyant sur des arguments factuels

"C’était ma première cour d’honneur, c’était incroyable, grandiose même si j’étais un peu loin", commente Gwenaëlle. Comme la plupart de ses camarades de promo, l’étudiante de 21 ans est arrivée à Avignon en septembre dernier. "C’est une super ville pour le théâtre", assure-t-elle. Même constat pour Charlotte, 23 ans, qui se dit "imprégnée" de l’univers théâtral d’Avignon. Pendant l’année, les étudiants en master 1 ont justement dû rendre huit critiques de spectacles, dont deux en lien avec le festival.

"Kingdom est un récit poignant se jouant sur trois actes majeurs qui structurent la pièce. Le spectateur est sous le charme de cette forêt pulpeuse qui regorge de secrets inavoués. La puissance des chants russes ainsi que des percussions qui rythment la pièce, donnent un côté presque sectaire à cette histoire intrigante."

(Extrait de la critique de Kingdom par Léa Carlavan)

Parmi les pièces emblématiques choisies : Kingdom d’Anne-Cécile Vandalem et La Cerisaie d’Anton Tchekhov. "J’ai beaucoup aimé la scénographie de Kingdom avec la reconstruction de la taïga, affirme Léa. Il y avait beaucoup de réalisme avec l’eau, le chien-loup…" Dans cette pièce, une partie du spectacle est filmée. Un dispositif parfois déroutant pour les étudiants et les spectateurs. "Ça casse les codes du théâtre et ça peut freiner parce que le regard est très encadré par la caméra", poursuit Léa. Ce à quoi le professeur Cédric Pérolini rappelle : "Vous avez le droit d’aimer ou de ne pas aimer mais il faut savoir de quel jugement il s’agit : le jugement de faits, de valeurs ou de goût. C’est ce qu’on doit retrouver dans vos critiques."

Un exercice pas toujours évident pour les étudiants qui, dans l’ensemble, donnent une critique positive à Kingdom. Contrairement à La Cerisaie. Dans la salle de classe, la pièce fait parler d’elle et les commentaires fusent. "J’avais beaucoup d’attente et j’ai été très déçue, c’était très plat, très terne", raconte Gwenaëlle. "Un peu comme quand on a toute une bonne équipe de foot mais qui ne sait pas jouer ensemble…", renchérit l’enseignant. "Je suis restée jusqu’au bout mais c’était affreux, très long et surjoué", complète Charlotte. Finalement, écrire une critique négative apparait beaucoup plus simple pour les étudiants, comme l'explique Gwenaëlle : "On peut partir de cette base pour argumenter. Même si une critique n’est jamais objective, la partie analyse reste très importante mais ce n’est pas toujours inné pour nous !" "Je préfère éviter de regarder les autres critiques avant d’écrire : il faut donner envie aux gens même si on n’a pas aimé, et donc trouver le bon équilibre", précise Léa.

"Dans un jeu d’acteur surjoué, la pièce n’aura pas su se mettre en avant et répondre aux attentes d’un public qui attendait la fulgurante Isabelle Huppert.

Peu convaincante, l’expérience a conduit certains spectateurs à quitter ce bel écrin papal, là où d’autres se sont contentés de succomber à l’appel du sommeil.

Le nouveau directeur du festival d’Avignon [Tiago Rodriguez] a ainsi proposé une pièce qui ne correspond pas au texte de Tchekhov dû à une mise en scène plate et sans relief qui laisse le public dans l’attente de la fin."

(Extrait de la critique de La Cerisaie par Charlotte Normand)

Retrouver les sensations du théâtre post-crise sanitaire

Car en plus des arguments à trouver, la qualité rédactionnelle compte pour beaucoup dans une critique. "Vous avez fait du bon travail mais il manque parfois de vocabulaire", explique Cédric Pérolini. "Je ne suis pas une rédactrice hors pair et le prof est très exigeant sur le langage : il faut être précis, détailler, donner des exemples et en rajouter… J’ai rendu des critiques de quatre pages ! Une fois, on a même débriefé pendant deux heures en se penchant sur chaque mot. C’était long, mais ça nous apprend", défend Charlotte.

Gilféry, Gwenaëlle, Léa et Hanna, tous les quatre en master 1 Théâtre et patrimoine ont réalisé des critiques de spectacles du festival d'Avignon.
Gilféry, Gwenaëlle, Léa et Hanna, tous les quatre en master 1 Théâtre et patrimoine ont réalisé des critiques de spectacles du festival d'Avignon. © Photo fourni par le témoin
D’autant que cette année, les étudiants en master n’ont pas été épargnés eux non plus par la crise sanitaire.

À défaut de pouvoir apprécier les pièces de théâtre en présentiel, il a fallu se rabattre sur des captations vidéos. "Quand on fait ces études, on a envie de voir du monde, là ce n’est pas ce que j’appelle du théâtre. Il faut un lieu, un public, des sensations !", estime Charlotte. "C’était une année très compliquée, tout se fait à distance, à travers les écrans… On n’a pas pu assister à autant de spectacles qu’on voulait", regrette également Léa.

Les trois étudiantes ont tout de même réussi à trouver un stage ou un job étudiant pour l’été afin de continuer à vivre le festival d’Avignon de l’intérieur. Toutes doivent également découvrir d’autres pièces de théâtre d’ici la fin du mois mais cette fois, juste pour le plaisir de vivre cet échange entre le public, la scène et les comédiens.

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