Témoignage

Suzy, un parcours brillant d’Erevan (Arménie) à Sciences po Paris

Suzy d'Erevan à Sciences po
Suzy, arrivée à l'âge de 6 ans sans parler français, est étudiante à Sciences po Paris. © Photo fournie par le témoin
Par Sarah Nafti, publié le 28 juin 2022
7 min

Suzy a intégré Sciences po en 2021, en se classant première des étudiants issus des CEP. Une revanche pour celle qui a débarqué en France sans parler un mot de la langue à l’âge de six ans et qui a connu la précarité pendant toute sa scolarité.

Si un mot devait définir Suzy, ce serait "déterminée". A sept ans, elle faisait une promesse à son père : "Quand je serai grande, je serai avocate, et je t’obtiendrai des papiers". "Il m’a répondu qu’il espérait bien les avoir avant !", rigole-t-elle aujourd’hui.

A 19 ans, en 2021, elle a intégré Sciences po Paris, en se classant première sur tous les étudiants issus des CEP (Conventions d’éducation prioritaire). "Je me souviens de l’émotion quand j’ai vu le résultat. Je n’y croyais pas, je pensais être sur liste d’attente", raconte la jeune femme.

Un "pur produit" de la méritocratie

D’origine arménienne, l’étudiante est "un pur produit" de la méritocratie, à laquelle pourtant elle ne croit pas complètement : "tant qu’il y aura autant de différences entre les établissements scolaires et aussi peu de mixité dans certains, il n’y aura pas de méritocratie car tout le monde n’a pas les mêmes chances d’y arriver".

Pourtant, elle veut "aider", faire sa part, pour "rendre un peu de ce qui m’a été donné". Après avoir bénéficié des ateliers Sciences po au lycée de la Tourelle, à Sarcelles où elle vit, et de l’accompagnement de l’association Ambition Campus, elle a choisi, aussi, de donner du temps à mentorer des lycéens. Un casse-tête pour son emploi du temps, déjà amputé de dix heures par semaine par un job étudiant dans un supermarché.

La précarité des primo-arrivants en France

Suzy est marquée par son histoire, celle de la précarité des primo-arrivants en France. Ses parents venus d’Erevan à l'âge de 20 ans se sont installés à Paris. Suzy va naître à l’hôpital de Suresnes, en 2002. Mais devant les difficultés à s’intégrer en France faute de papiers, ils repartent en Arménie un an après. "Ma sœur est née là-bas, entre temps, l’un de mes oncles s’était installé en France". Alors ses parents décident de retenter leur chance, en 2009.

Pour Suzy, l’arrivée dans un pays étranger est rude : "à l’école, on se moquait de moi car je ne parlais pas français. Mes parents n’avaient pas d’argent, mon premier mois d’école, j’avais un sac plastique au lieu d’un cartable".

Elle entre tout juste au CP, "un âge où on ne comprend pas vraiment ce qu’il se passe". Et elle va "devenir adulte avant l’heure" : "Quand mes parents travaillaient, je m’occupais de ma petite sœur, qui n’a que deux ans de moins, j’étais sa deuxième maman". Ses parents, comme son entourage, ne parlent pas français. Suzy, dès son plus jeune âge est chargée de traduire, de s’occuper des papiers. "J’ai appris le français tellement vite que quand j’ai retrouvé un camarade de CP en CE2 il m’a dit que je parlais super bien !"

Aider les autres, une motivation pour faire des études

La famille est en situation précaire. Elle n’obtiendra des titres de séjours qu’en 2013 : "mon père, on avait l’impression qu’il avait gagné au Loto ce jour-là !". Et jusqu’en 2016, elle vivra dans des hôtels. "Il faut imaginer ce que c’est, de vivre à quatre dans une pièce de 10m2 sans même pouvoir faire la cuisine. Et du jour au lendemain, on peut vous mettre dehors. Je me souviens de mon père qui passait des heures au téléphone avec le 115 juste pour savoir si nous allions être prolongés d’une semaine".

De cette expérience, elle garde un tempérament de battante, mais aussi "de bons souvenirs". "On a passé quatre ans à Moissy-Cramayel. A l’hôtel, il n’y avait que des Arméniens, des Tchétchènes, des gens des pays de l’Est, j’essayais d’aider tant que je pouvais, et ça m’a vraiment motivée pour faire des études".

Elle tombe également sur des enseignants bienveillants : "L’école m’a sauvée" dit-elle. En 2013, elle déménage à Torcy puis débute son collège à Lognes, avant de le terminer à Arnouville, au gré des changements d’hôtel.

Sciences po Paris en ligne de mire

Finalement la famille obtiendra un logement social à Sarcelles en 2017. Et c’est là que Suzy entend parler des ateliers Sciences po. "C’est mon prof d’histoire qui m’en a parlé la première fois, et qui m’a dit que j’avais le niveau. Je n’oublierai jamais."

Normalement l’atelier n’est ouvert aux élèves qu’à partir de la première. Mais Suzy n’est pas du genre à s’arrêter au premier obstacle. "Je suis allée voir le prof responsable, je lui ai dit que je venais dans ce lycée pour cette raison. J’y suis restée trois ans." Trois années au cours desquelles, elle travaille d’arrache-pied, quitte à ne pas voir ses amis. "Je voulais absolument réussir".

"Mon but, c’est de rendre mes parents fiers"

Ce tempérament ne l’a pas quittée. "Le premier semestre à Sciences po a été difficile, surtout que j’avais l’habitude d’avoir de très bonnes notes. Et puis je ne pouvais pas réviser autant que tous ceux qui ne travaillent pas à côté. Je l’ai validé, j’étais contente."

Elle sait pourtant qu’elle n’est pas encore arrivée là où elle voudrait : "mon but, c’est de rendre mes parents fiers. Là, ce n’est que le début. Je sais que je suis aussi un modèle pour ma sœur, qui va intégrer une prépa MP2I et veut travailler dans la cybersécurité."

Elle continue aussi d'aider les autres : "je continue de le faire parce que je sais ce que c’est de galérer. Je suis dure en tant que marraine, mais c’est pour leur bien. Moi, je ne veux pas leur faire plaisir, je veux qu’ils réussissent !"

Et Suzy n’oublie pas d’où elle vient. Particulièrement touchée par la pauvreté et le sort des migrants, elle sait qu’elle "n’a jamais eu l’insouciance des enfants", mais "c’est ce qui fait ma force et mon originalité".

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