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Faire ses études de kiné en Espagne : "On ne nous prépare pas au retour en France"

Pour exercer en France, les étudiants revenant d'Espagne doivent obtenir leur equivalence.
Pour exercer en France, les étudiants revenant d'Espagne doivent obtenir leur equivalence. © Adobe Stock/C Daniels/peopleimages.com
Par Pauline Bluteau, publié le 14 septembre 2023
7 min

Difficile de savoir combien d'étudiants français partent chaque année en Espagne pour devenir kiné. Pourtant, dans certaines classes, ils représentent pas moins des trois quarts des effectifs. Les formations, souvent intégralement en espagnol et tout aussi complètes qu'en France, ne cessent d'attirer malgré certaines contraintes.

Julia et Clément ont très vite su qu'ils voulaient devenir masseurs-kinésithérapeutes. Mais pour eux, pas question de passer par la PACES (première année commune aux études de santé) - depuis remplacée par les PASS ou les L.AS (parcours spécifique accès santé et licence avec option "accès santé") - indispensables pour être admis dans un institut de formation de masso-kinésithérapie (IFMK) en France.

En 2018, leur bac en poche, les deux étudiants prennent la direction de l'Espagne et quatre ans plus tard, les voilà diplômés. De retour en France, ils peuvent désormais exercer en tant que kinés où bon leur semble, après la mise en conformité de leur équivalence.

Pourtant, faire ses études de kiné en Espagne est un choix qui comprend des contraintes. Même s'ils ne regrettent absolument pas leur parcours, Julia et Clément le confirment, l'expatriation, c'est aussi des petites contraintes à prendre en compte.

Apprendre l'espagnol, indispensable pour ses études de kiné

"Les deux-trois premiers mois, c'est difficile. Il faut s'adapter à la langue donc la charge de travail est plus importante au début", souligne Julia, 23 ans, originaire de Sérignan, à côté de Béziers (34). Dans l'université privée de Manresa en Catalogne où elle a été diplômée, tous les cours sont en espagnol ou en catalan. Alors avec seulement quelques notions de bases acquises au lycée, il faut s'accrocher.

Clément, 25 ans, originaire de Toulouse (31), avait d'ailleurs privilégié l'allemand en deuxième langue au lycée. "Je ne voulais pas aller en Catalogne parce qu'il fallait déjà que j'apprenne le castillan (langue apprise au lycée, NDLR). Donc j'ai postulé à l'université européenne de Valence et j'ai pris des cours d'espagnol avant de commencer." Une démarche qu'il juge utile, encore aujourd'hui, pour s'intégrer plus rapidement, même s'il l'avoue, dans sa promo, 90% des étudiants étaient français.

Une sélection de plus en plus rude

D'autant que le niveau de langue n'est pas (toujours) décisif pour étudier en Espagne. Dans le pays, une cinquantaine d'établissements délivrent le "grado en fisioterapia" (bac+4), équivalent au diplôme d'État de masseur-kinésithérapeute en France (bac+5). Les étudiants peuvent s'inscrire dans des universités publiques, moins onéreuses mais plus sélectives, ou des universités privées.

Les modalités d'admission diffèrent d'un établissement à l'autre. Dans le public, un bac scientifique est requis et chaque candidat doit aussi passer des épreuves supplémentaires ("pruebas de acesos a la universidad"), un bon niveau en espagnol peut être exigé (B2). Vos notes de 1re et de terminale sont demandées. Vous obtiendrez alors une note sur 14, la "nota de corte", qui est décisive. Car chaque établissement public attribue une note minimale exigée pour être admis.

Dans le privé, cette note peut être indiquée, mais elle reste plus faible, bien qu'elle tende à augmenter. "On leur demande aussi une lettre de motivation et certaines écoles font passer des épreuves internes", explique Pauline Bordes. La fondatrice du site Etudier en Espagne, qui a elle-même effectué ses études de vétérinaire dans la péninsule ibérique, l'affirme, ce qui fait la différence, ce n'est pas la langue, mais bien la motivation.

Quelques universités, comme la Universidad Europea, proposent un cursus en français. De quoi rassurer certains étudiants, même si selon Pauline Bordes, ce serait "une erreur". "La langue n'est pas une barrière, mais les universités, de plus en plus sélectives, ne veulent plus faire entrer des étudiants avec un niveau si bas en espagnol, car les étudiants français restent souvent entre eux", prévient-elle.

Des formations de qualité qui ont un prix

Selon Clément, avant même de penser à la procédure d'admission, le plus important reste de bien se renseigner sur la qualité de la formation et surtout la reconnaissance à l'échelle européenne. Un avis partagé par Pauline Bordes qui ne recommande que certaines universités privées dont elle connaît la renommée.

D'autant que s'expatrier en Espagne est aussi une question de budget. Certains établissements peuvent coûter plus de 10.000 euros l'année et "le coût peut varier pendant le cursus, augmenter d'une année à l'autre", prévient Pauline Bordes. Julia, elle, a déboursé environ 6.000 euros par an pour son diplôme. Pour Clément, cela a plutôt vacillé entre 7.000 et 8.000 euros l'année.

En effet, en Espagne, chaque matière a un coût. Aussi, si vous ne validez pas un enseignement, vous devrez le repasser l'année suivante et le repayer. Le montant dépend du nombre de crédits ECTS que la matière permet de valider. Plus la matière est importante, plus elle est chère.

Quatre ans d'études en Espagne pour devenir kiné

En Espagne, les études de "fisioterapia" durent quatre ans et sont organisées de la même manière qu'en France. La première année reste assez théorique (anatomie, physiologie, découverte des muscles…). La deuxième année marque le début de la pratique. "C'est la troisième année qui devient vraiment intéressante : on a plus de pratique et on a deux mois de stage à réaliser en Espagne ou en France", détaille-t-elle. La quatrième année est dédiée uniquement à la pratique et à la spécialisation. Julia est ainsi repartie quatre mois en France pour son stage de dernière année.

D'après Clément, les matières enseignées sont les mêmes d'une faculté à l'autre en Espagne. "L'avantage, c'est que le pays est orienté vers les nouvelles techniques, il y a du bon à prendre pendant notre apprentissage." Vous pourrez aussi choisir dans certains établissements vos plages horaires de cours entre le matin et l'après-midi. C'était notamment le cas pour Julia qui conseille de "choisir ceux du matin, sinon, le soir, on est trop tenté de faire la fête", s'amuse-t-elle.

Des stages obligatoires pour exercer en France

Néanmoins, les deux diplômés l'assument, rester travailler en Espagne n'était pas tellement envisageable. "La kinésithérapie n'est pas reconnue comme en France et en termes de rémunération, c'est moins intéressant", tranche Julia. Mais pour exercer en France, c'est une sorte de parcours de combattant qui commence. "On nous prépare peu à notre retour en France. Or, l'équivalence, c'est un gros bloc qui fait peur", prévient Clément. Les deux étudiants ont mis un an à obtenir leur équivalence. Sans ce papier, interdiction d'exercer en France.

La procédure est longue : obtenir son dossier scolaire espagnol, le faire traduire, faire sa demande à la DREETS (Direction régionale de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités) en France... Parfois, pour valider leur dossier, les jeunes diplômés doivent aussi réaliser un stage en France dans des établissements agréés. La durée de ce stage est assez aléatoire. Julia s'est vue imposer douze semaines de stage contre quatre mois pour Clément : "J'ai écopé de la peine la plus lourde", se lamente-t-il. "On repasse ensuite en commission, lorsque c'est validé, on peut faire notre demande auprès de l'ordre des masseurs-kinésithérapeutes. Ensuite, on peut exercer", termine Julia.

Tous les deux exercent aujourd'hui en France, sans que leur diplôme et leurs études en Espagne ne soient vraiment un sujet de discussion. "Je ne le cache pas, mais je ne le montre pas non plus forcément. En tout cas, ce n'est pas un frein, on est autant kiné que ceux qui ont fait leurs études en France", plaide Julia.

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