Interview

"C'est un sujet couillu" : une externe interroge la place des femmes en médecine

Alicia Mélaïmi, étudiante en quatrième année de médecine a rédigé un mémoire sur "La question du genre dans les parcours hospitalo-universitaires".
Alicia Mélaïmi, étudiante en quatrième année de médecine a rédigé un mémoire sur "La question du genre dans les parcours hospitalo-universitaires". © Photo fournie par le témoin
Par Pauline Bluteau, publié le 06 octobre 2023
1 min

Si elle en rit aujourd'hui, Alicia Mélaïmi, étudiante en quatrième année de médecine à l'université de Caen, sait que son sujet de mémoire est assez osé. Dans le domaine médical, où le patriarcat est encore bien présent, parler de la place des femmes n'a rien de très naturel. Pourtant, ce combat, l'externe de 21 ans compte bien le mener coûte que coûte.

En parallèle de son externat de médecine, Alicia Mélaïmi, effectue un master de Santé publique à l'université de Caen. C'est à cette occasion que l'étudiante a rédigé un mémoire sur "La question du genre dans les parcours hospitalo-universitaires". Autrement dit, comment les femmes font face à un plafond de verre pendant leurs études de médecine et la suite de leur carrière, jusqu'à atteindre le poste "le plus prestigieux" selon Alicia, qui est celui de professeur des universités-praticien hospitalier (PU-PH). Un poste qui regroupe trois missions : la recherche, les soins cliniques et l'enseignement.

Car même si les femmes sont plus nombreuses à s'inscrire dans les études médicales (66% en 2022), seules 20% des femmes occupent le poste de PU-PH.

Pourquoi avoir choisi ce sujet pour votre mémoire ?

Je voulais m'intéresser à la structuration de la profession. J'ai toujours eu un intérêt pour le féminisme or, je me suis toujours fait la réflexion qu'en études de médecine, nous avions peu d'encadrants ou de professeures-femmes. Ça m'a marqué, j'avais envie de comprendre.

En effet, seuls 20% des PU-PH sont des femmes, comment l'expliquer ?

Et oui, 20%, c'est ridicule. Il y a plusieurs facteurs :

  • la féminisation dans le milieu médical est récente, on peut d'ailleurs espérer qu'il y ait plus de PU-PH dans les années à venir ;

  • il y a peu de réflexion sur les congés maternels et surtout paternels ;

  • et en interne, il y a peu de remise en question sur la place que l'on accorde aux femmes. Par exemple, les hommes PU-PH vont plus naturellement parrainer des hommes.

J'ai remarqué aussi dans les entretiens que j'ai menés que le système restait archaïque dans l'organisation des ménages. Les femmes PU-PH le disent, il faut un partenaire qui accepte qu'une femme brille dans sa carrière pour y arriver.

Qu'est-ce qui vous a le plus surpris au cours de votre enquête ?

La désertion des PU-PH. Je ne m'attendais pas à ces réponses sur l'obsolescence de ce statut, qu'il ne soit pas valorisé alors qu'il est prestigieux. Finalement, on a peu d'accompagnement pendant nos études à ce sujet, c'est facile de se sentir perdu.

Vous évoquez les difficultés pour les femmes médecins à se sentir légitimes, pourquoi est-ce encore vrai aujourd'hui ?

La légitimité, même chez les PU-PH interrogées, n'est pas innée. Peu d'entre elles pensaient réaliser ce parcours. C'est le fruit d'une confiance durement gagnée et c'est aussi tout un processus parce qu'elles doivent prouver plus longtemps que les hommes leurs compétences.

Dans le milieu médical que vous décrivez comme compétitif, comment les femmes trouvent-elles leur place ?

La médecine est très compétitive par essence parce que c'est comme ça qu'on nous évalue. C'est un domaine marqué par le patriarcat et on commence doucement à se réveiller à ce sujet.

Souvent, les femmes ont une position plus maternante mais en médecine, tout est tourné vers la performance. Or, pour certaines femmes, cela rentre en conflit. Finalement, leurs qualités les empêchent d'accéder aux plus hautes fonctions. C'est un combat dont elles ne peuvent pas sortir gagnantes.

D'ailleurs, les femmes qui se battent le plus sont aussi les plus dénigrées. On les juge en tant que femme quand elles privilégient leur carrière au détriment de leurs enfants et inversement. C'est un dilemme sans solution. Quoi qu'elles fassent, elles auront un malus.

Impossible donc de se sortir du patriarcat en médecine ?

Disons, qu'on n'essaie pas de trouver des solutions. Le sexisme est tellement internalisé que les femmes le perpétuent. Parfois même entre elles pour se sentir intégrées, elles vont reproduire ce schéma. On l'observe souvent en stage : on voit qu'on ne retrouve pas une sororité, que les femmes sont aussi des rivales entre elles…

Les choix de spécialités en internat sont-ils aussi genrés ?

Oui, étant en externat, je pense aussi à mes choix de spécialités donc on en parle entre nous et avec les internes de nos services. Quand on y réfléchit, on a des préconceptions, des réticences vis-à-vis de certaines spécialités comme la chirurgie où on sait qu'il y a une ambiance misogyne, qu'il y a "un humour du bloc".

Et on a très peur de mal vivre notre internat pour ces raisons. Il faut aussi ajouter que ce sont des spécialités très prenantes alors que l'on peut chercher à avoir un meilleur équilibre avec notre vie personnelle. Donc on se freine dans nos choix, oui.

Vous avez passé votre soutenance, quels retours avez-vous eus ?

Que c'était "couillu" (rires). On m'a dit qu'il fallait oser se plonger dedans, que c'était surprenant comme sujet mais ça intéresse beaucoup parce que c'est peu traité. J'ai eu de la chance d'avoir des personnes réceptives, notamment parmi les profs.

Certains craignaient d'ailleurs que ce soit mal accueilli et que cela ait un impact pour mon évaluation. J'ai finalement soutenu, on a eu des débats avec le jury mais tout s'est bien passé. Ils m'ont dit que c'était un bon sujet.

Que voudriez-vous retenir de cette enquête ?

Qu'il faut cultiver une indépendance et affirmer ses valeurs. Je pense que ça m'a aidé à me construire un guide de survie personnel, ça ne m'a pas dégoûté pour la suite. Réussir, c'est aussi prouver, encore plus, que les femmes de sciences existent donc il faut en parler le plus possible aux étudiants pour sensibiliser.

Quels sont vos projets professionnels ?

Je suis carriériste, j'ose le dire désormais. Ce sujet m'a encore plus donné envie de devenir PU-PH. J'ai toujours adoré enseigner et je n'ai pas envie de me l'interdire même si c'est difficile. Je pense que la connaissance apporte le pouvoir de s'en sortir. Donc je m'y prépare, s'il y a un combat, il se mènera !

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