Enquête

Quand les étudiants s’endettent pour payer leur business school

Coûts Ecoles de commerce : EM Lyon - ESCP Europe - EM Normandie - Neoma
L'EM Lyon, l'ESCP Europe, l'EM Normandie et Néoma font partie des écoles dont les frais de scolarité ont le plus augmenté entre 2013 et 2015. © PHILIPPE SCHULLER-EM LYON/ESCP Europe/Alexis Chézière- EM Normandie/Niko-NEOMA
Par Martin Rhodes, Tableau : Baptiste Legout, publié le 12 janvier 2016
1 min

Près de 10.000 € en moyenne par an et jusqu’à plus de 51.000 € pour toute une scolarité… Pour assumer de tels frais en constante augmentation, certains étudiants d’écoles de commerce se tournent vers les banques. Le point sur ce que coûtent vraiment ces cursus, et sur l’option “emprunt”, choisie par des jeunes persuadés du retour sur investissement de leur futur diplôme.

C'est pour ainsi dire devenu un rituel. Chaque année, le tarif des écoles de commerce s'accroît et les spécialistes de l'enseignement supérieur – ainsi que les parents ! – se demandent si cette hausse est la dernière.

Une facture de plus en plus salée

À la rentrée 2015, les frais de scolarité ont en moyenne augmenté de 330 € en 1 an. Une évolution qui peut paraître anecdotique au regard du prix moyen d'une année d'études (9.737 €). Mais certains établissements ont connu une majoration annuelle bien plus importante. Citons par exemple l'EM Normandie (+ 640 €) et l'IPAG (+ 600 €). 3 écoles postprépa – HEC, l'ESCP et l'ISC – ont même flirté avec les 1.000 € supplémentaires.

Jusqu'à plus de 50.000 € la scolarité

Une augmentation d'autant moins accessoire quand on envisage le cumul des frais sur plusieurs années. Les cursus postprépa sont en moyenne passés de 9.608 € par an en 2013 à 10.252 € en 2015. Les programmes postbac ont quant à eux connu une revalorisation encore plus forte, de l'ordre de 10 %. Précisément, leur prix moyen a fait un bond de 8.058 € en 2013 à 8.787 € 2 ans plus tard. Faire toute sa scolarité dans une école en 5 ans coûte désormais jusqu'à plus de 50.000 € (voir tableau).

Certains établissements restent cependant moins onéreux que d'autres. Le tarif annuel des écoles en 3 ans s'étend de 5.650 € pour TEM (Télécom école de management) à 13.500 € pour l'ESSEC et HEC. Celui des écoles en 5 ans est bien plus resserré. Le cursus le moins cher coûte 7.820 € (ESDES) et le plus élevé 10.230 € (ESCE).

Une concurrence internationale

Pour Loïck Roche, directeur de Grenoble EM et président du Chapitre de la CGE (Conférence des grandes écoles), deux mouvements sont à l'origine de cet accroissement quasi généralisé. "D'un côté, la baisse de la taxe d'apprentissage et des dotations des chambres de commerce et d'industrie. De l'autre, la pression grandissante des critères de qualité et de la concurrence internationale, notamment asiatique, explique-t-il. Cette pression nous pousse à recruter de meilleurs professeurs, à faire de la recherche et à lancer des actions à l'étranger. Tout cela coûte beaucoup l'argent."

Et les frais de scolarité demeurent la principale source de financement des écoles. Pour les directeurs des établissements, ce montant élevé doit être considéré à l'aune du taux d'emploi et du salaire de sortie.

Un retour sur investissement

"Regardez nos débouchés !" répondent-ils en effet quand on les questionne sur les frais de scolarité. Alors, regardons de plus près. Selon une enquête publiée par l'APEC (Association pour l'emploi des cadres) en septembre 2015, le taux d'emploi des étudiants sortis en 2014 des écoles de management s'élève à 80 %, contre 72 % toutes filières confondues. Un taux élevé qui s'accorde avec l'enquête insertion publiée en juin 2015 par la CGE.

Toutefois, dans un rapport sur la gestion des business schools daté de 2013, la Cour des comptes constate que les établissements les moins renommés peinent à trouver des débouchés pour leurs étudiants. "Entre les écoles, les taux d'emploi diffèrent sensiblement, ne dépassant pas les 60 % dans certains cas", peut-on lire.

Des disparités que l'on retrouve dans les rémunérations des jeunes diplômés. Le salaire de sortie varie de 26.948 à 48.787 € (avec une moyenne de 33.737 €), et celui à 3 ans de 34.688 à 75.000 € (43.101 € en moyenne). Les jeunes actifs des écoles postprépa gagnent respectivement 2.190 et 4.780 € de plus par an que ceux des écoles postbac. Les écoles les mieux classées d'un point de vue académique étant à la fois les plus onéreuses et celles qui offrent les meilleurs salaires de sortie.

ÉcoleFrais de scolarité rentrée 2015 (1)
Évolution (en %) 2013-2015Évolution (en €) 2013-2015Salaire de sortie (2)
Salaire 3 ans après la sortie (2)
Écoles postprépa en 3 ans
Audencia, Nantes 31.899 € 11,50 % 1.100 € 33-40 K€ 40-59 K€
EDHEC, Lille, Nice, Paris 38.721 € 3,50 % 440 € + de 40 K€ 40-59 K€
EM Lyon 39.501 € 17,60 % 1.967 € + de 40 K€ 40-59 K€
EM Strasbourg 22.500 € 0,00 % 0 € 33-40 K€ - de 40 K€
ESC Clermont 24.750 € -8,30 % -750 € - de 33 K€ - de 40 K€
ESC Dijon 25.500 € 4,90 % 400 € - de 33 K€ 40-59 K€
ESC La Rochelle 28.350 € 11,10 % 947 € - de 33 K€ 40-59 K€
ESC Pau 26.400 € 3,10 % 267 € - de 33 K€ - de 40 K€
ESC Rennes 26.901 € 8,90 % 734 € 33-40 K€ 40-59 K€
ESC Troyes 23.700 € 9,70 % 700 € - de 33 K€ - de 40 K€
ESCP Europe, Paris 39.000 € 16,40 % 1.833 € + de 40 K€ + de 59 K€
ESSEC, Cergy-Pontoise 40.500 € 2,50 % 333 € + de 40 K€ + de 59 K€
Grenoble École de management 33.573 € 3,40 % 346 € 33-40 K€ 40-59 K€
HEC, Jouy-en-Josas 40.500 € 13,40 % 1.600 € + de 40 K€ + de 59 K€
ICN, Nancy 27.300 € 6,20 % 533 € 33-40 K€ 40-59 K€
INSEEC, Bordeaux, Chambéry, Paris 31.851 € 10,80 % 1.034 € - de 33 K€ - de 40 K€
ISC, Paris 32.340 € 9,80 % 963 € - de 33 K€ 40-59 K€
ISG, Paris 29.739 € - 2,70 % - 280 € 33-40 K€ 40-59 K€
Kedge, Bordeaux, Marseille 34.200 € 8,60 % 900 € 33-40 K€ 40-59 K€
Néoma, Reims, Rouen 32.640 € 15,70 % 1.480 € 33-40 K€ 40-59 K€
Skema, Lille, Nice, Paris 31.239 € 4,10 % 413 € 33-40 K€ 40-59 K€
Montpellier Business School 30.120 € - 1,20 % - 123 € - de 33 K€ 40-59 K€
Télécom EM, Évry 16.950 € 9,90 % 510 € 33-40 K€ 40-59 K€
Toulouse Business School 30.000 € 1,10% 105 € 33-40 K€ 40-59 K€
Écoles postbac en 5 ans
EBS, Paris 45.800 € 9,40 % 790 € - de 33 K€ 40-59 K€
EDC, Paris 43.000 € 7,50 % 600 € - de 33 K€ - de 40 K€
EM Normandie, Caen, Le Havre 44.350 € 14,20 % 1.100 € - de 33 K€ - de 40 K€
ESCE, Lyon, Paris 51.150 € 12,50 % 1.135 € 33-40 K€ - de 40 K€
ESDES, Lyon 39.100 € 6,40 % 470 € - de 33 K€ 40-59 K€
PSB, Paris school of Business 44.990 € 9,70 % 798 € 33-40 K€ - de 40 K€
ESSCA, Angers, Paris 45.950 € 13,50 % 1.090 € 33-40 K€ 40-59 K€
ICD, Paris, Toulouse 45.500 € 9,90 % 822 € - de 33 K€ - de 40 K€
IDRAC, Lyon 41.210 € NC NC - de 33 K€ - de 40 K€
IESEG, Lille, Paris 45.990 € 9,70 % 810 € 33-40 K€ 40-59 K€
IPAG, Nice, Paris 4.200 € 7,70 % 600 € - de 33 K€ 40-59 K€
ISTEC, Paris 4.250 € 6,70 % 530 € - de 33 K€ - de 40 K€
Novancia, Paris 39.850 € 7,40 % 550 € - de 33 K€ - de 40 K€

Données fournies par les écoles.
1. Cumul du prix des 3 ou 5 années d'études.

2. Catégories salariales définies par l'Etudiant.

L'endettement comme mode de financement

Quelles que soient ces disparités de salaires, pour beaucoup d'étudiants, le jeu en vaut la chandelle. Certains n'hésitant pas à s'endetter pour assumer ces frais de scolarité galopants.

11 % des étudiants en école de commerce ont contracté un crédit au cours de l'année 2012-2013 (contre 17 % en 2009-2010), selon l'OVE (Observatoire national de la vie étudiante). L'organisme public ne fait toutefois pas de distinction entre les types d'emprunts. Certains se sont endettés pour acheter un ordinateur, d'autres pour financer 5 années d'études. Et la part de jeunes endettés varie fortement d'une école à l'autre. À l'ESC Dijon, par exemple, pas moins de 60 % des nouveaux entrants profitent chaque année du taux préférentiel négocié par l'école.

Les meilleurs taux... pour les "meilleures" écoles

"Études courtes ou longues (université, IUT/BTS, grandes écoles), stage en France ou à l'étranger : aucune différence ! C'est votre statut d'étudiant qui compte", peut-on lire sur le site de la banque Crédit agricole. Mais, à quelques exceptions près, le taux d'emprunt dépend surtout, le plus souvent, du taux d'emploi et du salaire offerts par l'école.

Sur le site du LCL, un moteur de recherche répertorie les partenariats signés avec les différentes écoles. La somme maximale de l'emprunt fluctue entre 35.000 et 45.000 €. Le taux du crédit varie quant à lui du simple au double. Il est par exemple de 0,9 % pour l'ESSEC et de 1,8 % pour l'INSEEC et l'ISC, 3 établissements situés en Île-de-France.

"Les étudiants des meilleures écoles sont les cadres supérieurs de demain. La concurrence que se font les banques sur ces clients-là est plus importante et c'est pouquoi ils optiennent des offres plus intéressantes", explique Frédéric Dupuis, responsable marketing crédits au LCL.

L'offre Grandes écoles de la Bred va encore plus loin. Elle cible uniquement les meilleurs des meilleurs, celles et ceux qui intègrent l'ESSEC, HEC ou encore l'ESCP. Ces derniers sont chouchoutés. Ils se voient attribués des conditions préférentielles comme une carte Premium, ainsi qu'un taux d'emprunt compris entre 0,80 et 0,90 %. À titre de comparaison, un étudiant "classique" s'endette à 1,20 %. "Le taux est la rémunération du risque pris par la banque. Ce risque est faible pour les étudiants issus des meilleures écoles qui trouvent rapidement un bon job. Il est donc logique que ces derniers obtiennent des taux très bas", décrypte Marie Namias, directrice de Bred Espace.

Taux préférentiel ou non, pour les étudiants qui s'endettent, démarrer sa carrière avec un crédit à rembourser est certes lourd à gérer, mais le retour sur investissement le vaut bien. "Je n'en vois pas le bout, un crédit est un fardeau, reconnaît Sophie, diplômée de Rouen BS (désormais Néoma) et aujourd'hui analyste business plan à la BNP immobilier (lire son témoignage ci-dessous). Mais si c'était à refaire, je le referai. Mon diplôme m'a permis de trouver rapidement un travail bien rémunéré et d'évoluer jeune." Elle a emprunté au LCL 30.000 € pendant sa scolarité.

Ils se sont tournés vers les banques
Assif, 23 ans, en première année à l'EM Strasbourg : "Financer 2 années d'études et quelques extras" 
"J'ai un parcours atypique, pour ne pas dire unique", s'amuse Assif. Le jeune homme de 23 ans a intégré l'EM Strasbourg en septembre 2015 après un BEP comptabilité, un bac pro et une classe prépa. "J'étais admis dans plusieurs écoles mieux classées que l'EM Strasbourg, confie-t-il. Si le programme a été le principal critère, le prix a aussi beaucoup joué." L'EM Strasbourg, école publique, est l'une des 2 écoles les moins chères : 22.500 € pour 3 années d'études.
L'étudiant en management a obtenu un taux d'emprunt avantageux en passant par son établissement. Il a emprunté 18.000 € à 0,9 % auprès du LCL. "Mon prêt me permet de financer 2 années d'études et quelques extras comme un ordinateur. Je ferai ma dernière année en alternance afin d'acquérir de l'expérience sans trop m'endetter", précise Assif. Il dispose d'un délai de 1 an et demi après la fin de ses études pour trouver du travail et commencer à rembourser son crédit. Ses mensualités sont fixées à 342,95 € pendant une durée de 4 ans et demi.

Sophie, 27 ans, diplômé de Néoma, analyste business plan à la BNP : "Je n'en vois pas le bout, mais c'est sans regret"
"Les mensualités viennent s'ajouter à mon loyer. Je suis financièrement ric-rac en permanence. Alors je fais très attention et je consulte mon compte en banque tous les 2 jours", confie Sophie. La jeune femme de 27 ans, diplômée de Rouen BS (désormais Néoma) est analyste business plan à la BNP immobilier. Elle gagne 3.250 €, brut (sans compter les bonus et les participations), et rembourse au LCL un prêt de 30.000 € par mensualités de 463 €.
Pendant plusieurs mois, Sophie a suspendu le remboursement de son prêt afin d'emménager sans prendre le risque d'être à découvert. Puis elle a renégocié ses mensualités initialement fixées à 560 €. Deux opérations qui ont eu pour effet d'allonger la phase de remboursement. La jeune femme est endettée jusqu'en 2020. "Je n'en vois pas le bout, un crédit est un fardeau. Mais si c'était à refaire, je le referai. Mon diplôme m'a permis de trouver rapidement un travail bien rémunéré et d'évoluer jeune."

Lire aussi l'article "Frais de scolarité : les écoles de commerce toujours plus haut” sur EducPros.

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