Interview

Etudes de médecine : "Il y a un attachement aux classements, comme une addiction"

De la première année aux ECN, les étudiants en médecine vivent des classements avec un impact non négligable sur la santé mentale.
De la première année aux ECN, les étudiants en médecine vivent des classements avec un impact non négligable sur la santé mentale. © lulu877 / Adobe Stock
Par Pauline Bluteau, publié le 28 juin 2023
6 min

Des années à passer des concours, et ce, de la première année de PASS ou de L.AS aux épreuves redoutées des ECN... Il faut bien le dire, les classements façonnent les futurs médecins. Un système bien ancré et surtout très méritocratique qui a, en réalité, de vrais impacts sur la santé mentale des étudiants.

Flavien Derrien est médecin généraliste à Lyon (69). À l'issue de son internat, qu'il a terminé en novembre dernier, il a présenté une thèse sur les représentations et les impacts du classement chez les étudiants en médecine.

Une pédagogie qui a su prouver son efficacité mais jusqu'à un certain point. La course aux classements serait loin d'être idéale, pour les bons étudiants, les moins bons et pour leurs patients.

Une thèse sur les représentations et les impacts des classements en médecine, c'est peu commun. Comment l'idée vous est venue ?

J'ai commencé à y songer en 2019-2020. Il y a peu de littérature à ce sujet, or il y a beaucoup de moments compliqués liés aux classements pendant les études. Cela me paraissait logique de l'explorer et de faire parler les étudiants sur leur vécu.

On a donc interviewé 15 étudiants en médecine, de spécialités et de niveaux différents, de la deuxième année à la fin de l'internat, pour être le plus représentatif.

Que retenez-vous de vos recherches ?

Quand on regarde les statistiques, on constate que les étudiants parlent de dépression, de troubles alimentaires… Les résultats sont assez similaires à ceux réalisés par les associations étudiantes sur la santé mentale (enquête 2021 de l'ISNI, ISNAR-IMG et ANEMF, ndlr).

Il s'agit d'une thèse exploratoire : tout ne dépend pas que des classements mais l'une des pistes, c'est qu'ils sont tellement présents qu'ils conduisent les moins bons étudiants à se dévaloriser et les meilleurs à avoir une pression supplémentaire. Les classements font du mal, tout simplement.

Ces troubles psychiques, je m'y attendais, parce qu'on le sent avec nos études, mais peut-être davantage pour ceux en fin de classement.

Comment cela se manifeste-t-il au quotidien pour les étudiants ?

On constate que les classements sont un mode de vie en médecine. Cela commence dès la première année (PASS et L.AS, ex-PACES, ndlr) : il faut être meilleur que les autres pour le concours.

C'est aussi le cas via le tutorat, les prépas, où les étudiants sont classés toutes les semaines. Beaucoup se retrouvent pour la première fois face à l'échec alors qu'ils étaient parmi les meilleurs au lycée, c'est dur. Dès la première année, on rentre donc dans le moule.

Ensuite, pour certains, quand ils arrivent en internat (après le classement des ECN, ndlr), on leur demande leur nom, prénom et classement. C'est comme cela qu'on prouve sa valeur.

Les bien classés vont chercher de la reconnaissance à travers le classement. Et c'est leur carotte pour avoir de bons stages. Comme si leur classement leur ouvrait un droit.

Pour les moins bons, c'est une spirale infernale : ils sont moins bien notés, ils ont de moins bons stages donc parfois de moins bons formateurs… C'est un engrenage et ils finissent par perdre confiance en eux.

Quelles sont les autres conséquences des classements ?

Les classements ont aussi un impact sur la pratique. Beaucoup parlent de "stages-planques" pendant l'externat : ils choisissent des stages où ils savent qu'ils auront le temps de s'entrainer pour les ECN (épreuves classantes nationales). Sauf qu'ils pratiquent moins.

La réforme du deuxième cycle des études de médecine devrait provoquer un changement car les étudiants vont aussi être évalués sur leur pratique. Ils retrouvent un intérêt à aller en stage. C'est beau la théorie mais face à un patient, c'est plus compliqué.

Les classements sont tellement ancrés, difficile de faire sans…

C'est contradictoire parce que le classement est aussi une chance, on réussit grâce au travail et tous les étudiants reconnaissent que c'est une bonne chose. Aujourd'hui, il y a un attachement au classement que l'on compare à de l'addiction : quand on a un bon classement, on a envie de le retrouver, ça stimule la récompense.

On remarque aussi que certaines spécialités sont plus méritocratiques comme la dermatologie ou la cardiologie que l'on attribue aux mieux classés. En revanche, en médecine générale, le classement n'a pas d'importance.

Est-ce que vous avez cherché des solutions dans votre thèse ?

Oui. On a cherché à savoir s'il y avait des choses à adapter car les étudiants en médecine sont à risque. Ils sont en souffrance et ce n'est pas nouveau mais il n'y a aucune étude pour les valoriser autrement.

Pour les étudiants, le classement est un moyen de se valoriser sur son niveau mais l'assimilation entre compétences et classement est fausse. Est-ce qu'il faut donc les valoriser par la pratique en stage ? Aujourd'hui, l'évaluation des stages est très inégale et il faut que cela évolue.

Est-ce qu'il faut limiter les classements non-essentiels : en sixième année, est-ce utile d'avoir des classements toutes les semaines ? Pour se détacher, il faudrait travailler pour être un bon médecin plutôt que pour avoir un bon classement.

Est-ce que vous savez si les classements continuent ensuite d'avoir un impact chez les médecins en exercice ?

C'est une bonne question. Me concernant, les classements m'ont marqué et ils ont pu me faire du mal. Certains sont restés frustrés de leur classement et c'est un ressenti que je partage encore.

Aujourd'hui, il existe des bastions de méritocratie mal placée et ce n'est pas possible pour les étudiants. Je ne suis pas certain qu'on aura une idée lumineuse qui convienne à tous mais on ne peut pas se permettre de laisser de côté le bien-être des étudiants en médecine.

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