Enquête

Pour les externes en médecine, la précarité financière devient un frein à la poursuite d'études

La moitié des externes affirment connaitre des difficultés financières contre 42% pour les étudiants de première cycle.
La moitié des externes affirment connaitre des difficultés financières contre 42% pour les étudiants de première cycle. © C Coetzee/peopleimages.com / Adobe Stock
Par Pauline Bluteau, publié le 03 octobre 2023
6 min

Les difficultés financières ne cessent de s'accentuer pour les étudiants en santé. En partageant leur temps entre les cours à l'université et les stages à l'hôpital, les étudiants qui entrent en externat de médecine sont les plus concernés. Certains d'entre eux en viennent d'ailleurs à douter de leur vocation.

Selon Jérémy Darenne, président de l'Association nationale des étudiants en médecine de France (ANEMF) qui vient de publier son enquête sur la précarité en études de médecine ce lundi 2 octobre 2023, le constat est "assez dramatique".

Si l'on savait déjà que le coût de la rentrée 2023-2024 avait largement augmenté (+8%) en l'espace d'un an pour les étudiants en quatrième année de médecine (étudiants hospitaliers en externat), ce n'est rien comparé aux chiffres d'avant la crise sanitaire. Et les conséquences sont elles aussi bien plus graves.

Une précarité qui s'accentue en externat de médecine

Le coût de la rentrée en quatrième année de médecine s'élève à plus de 4.400 euros contre 1.800 euros en moyenne en première année d'études de santé (PASS-L.AS). Un coût multiplié par deux entre le premier et le deuxième cycle, rien de très étonnant pour l'ANEMF.

Les étudiants en quatrième année doivent acheter tout le matériel médical nécessaire ainsi que de nombreux référentiels, livres et matériel pédagogique pour leur externat. Aussi, la moitié des externes affirment connaitre des difficultés financières contre 42% pour les étudiants de première cycle (de la première à la troisième années d'études).

"Le statut de l’étudiant hospitalier est à mi-chemin entre le statut d'étudiant stagiaire et celui de salarié de l’hôpital. Les étudiants hospitaliers touchent une rémunération dérisoire pour une formation en alternance entre les bancs de l’université et les stages hospitaliers."

Les rétributions atteignent en effet entre 273,14 euros bruts mensuel en quatrième année (3.277,64 euros bruts annuel) et 409,70 euros en sixième année (4.916,46 euros bruts annuel). Peu, comparé aux gratifications de stage reçues par les étudiants de l'enseignement supérieur lorsqu'ils effectuent plus de deux mois de stage. Le "montant minimal légal horaire [s'élève à] 4,05 euros, contre un montant horaire de 2,21 euros nets pour l’étudiant hospitalier en DFASM1 (quatrième année d'études de médecine)".

Impossible de cumuler job étudiant et externat

D'autant que les externes ont assez peu de moyens de s'en sortir autrement d'un point de vue financier. Difficile notamment de compter sur un job étudiant comme le font déjà 40% des étudiants du supérieur. "Le rythme est très soutenu et ce cursus est particulièrement chronophage pour les futurs médecins, ne laissant que peu de place pour un job étudiant ou tout simplement pour leur épanouissement personnel."

Au total, 61% des étudiants du premier cycle déclarent avoir une activité rémunérée contre 37% en deuxième cycle. Or, 84% d'entre eux dépendent de leurs parents malgré cette activité supplémentaire déjà jugée indispensable.

Impossible non plus de se rattraper l'été puisque les stages hospitaliers sont obligatoires : pour 94% des externes, ces stages estivaux sont "un facteur limitant pour améliorer leur niveau de vie".

Les externes exclus par la revalorisation des gardes

Seules les gardes pourraient inverser la tendance. Comme l'explique l'ANEMF, les externes effectuent 25 gardes obligatoires de 18h30 à 8h30 au cours de leurs 36 mois de stage. Ils peuvent être rémunérés à hauteur de 55,29 euros. Pour les trois quart des externes, cette indemnisation est "importante parmi leurs sources de revenus".

Le hic concerne la revalorisation des gardes à hauteur de 50% annoncées par le ministère de la Santé cet été : cela concerne le personnel hospitalier et les internes mais pas les externes. "Les internes et les externes n'ont pas la même situation mais les externes ont aussi des responsabilités pendant leur garde. Cette revalorisation est légitime", plaide Jérémy Darenne.

Un avis qui n'est pas partagé par les doyens de médecine pour qui les externes restent des étudiants, contrairement aux internes et donc ne peuvent pas bénéficier d'une revalorisation.

Une précarité qui provoque des inégalités pendant l'externat

Or, depuis quelques années, d'autres frais sont venus s'ajouter. Les frais de transport pour les stages en périphérie qui se multiplient et même s'ils sont vus d'un bon œil par les externes, sont trop coûteux (49% sont en difficultés en raison de ces frais supplémentaires).

Le service sanitaire, mis en place en 2018, oblige aussi les étudiants à se déplacer pour faire de la prévention en périphérie. Une indemnité de 130 euros est pourtant possible mais parmi ceux qui ont effectué leur mission à plus de 15 km de leur université, "61% affirment ne pas avoir perçu l’indemnité de transport".

Toutes ces difficultés financières ont forcément des répercussions qui s'aggravent d'année en année. Trois étudiants sur cinq se disent anxieux de leur situation financière (58% contre 45% en 2019). L'alimentation et la santé passent au second plan.

La moitié des externes s'isolent et renoncent à retourner voir leur entourage faute de moyens. C'est plus qu'en 2019 où cela ne concernait "que" 43% des externes. Les externes limitent aussi leurs engagements associatifs ou les mobilités internationales alors même que ces éléments sont nouvellement pris en compte dans le parcours de formation pour accéder à l'internat. Pour Jérémy Darenne, cette précarité crée donc une "inégalité" entre les étudiants en médecine.

Deux externes en médecine sur cinq ont pensé à arrêter leurs études

Au total, 42% des externes ont déjà pensé à arrêter leurs études (37% en premier et deuxième cycle confondus en 2023 contre 23,6% en 2019). Et pire encore, 65% ne recommandent pas leurs études (contre 46,5% en 2019).

Selon l'ANEMF, "beaucoup d’étudiants entendent dire que les études de médecine se font par 'vocation' et qu’ils doivent donc accepter ces conditions. Certes, les études de médecine se font par passion, mais rien ne justifie de tels sacrifices".

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