Décryptage

La médecine générale, une spécialité qui attire de moins en moins les futurs internes

La médecine générale est l'une des dernières spécialités choisies.
La médecine générale est l'une des dernières spécialités choisies. © Drazen / Adobe Stock
Par Pauline Bluteau, publié le 12 octobre 2023
1 min

INFOGRAPHIES. C’est la spécialité qui offre le plus de places en internat, mais cette année, la médecine générale et ses 3.856 postes ont eu plus de mal à attirer les futurs internes. Pour la première fois, l’intersyndicale représentant des internes en médecine générale constate une vraie baisse d’attractivité, en partie due à la mise en place d’une quatrième année d’internat.

"La médecine générale est historiquement mal considérée par rapport aux autres spécialités", expose l’ISNAR-IMG (Intersyndicale nationale autonome représentative des internes de médecine générale) dans son dossier de presse publié en septembre dernier. Le vilain petit canard avait pourtant réussi, jusqu’à présent, à attirer chaque année plus de 8.500 étudiants en médecine générale. Depuis 2017, pas moins de 500 nouveaux postes ont même été créés. Et 100% d’entre eux ont été pourvus… en tout cas, pour les postes hors CESP (contrat d’engagement de service public).

Pas de quoi s’alarmer donc, sauf si, à y regarder de plus près, on constate que l’engouement n’est plus tout à fait le même : c'est une réalité, la médecine générale est de moins en moins considérée par les futurs internes.

La médecine générale l'une des dernières spécialités choisies

La cote de popularité de la spécialité était pourtant en hausse ces dernières années. En 2019, on atteint même un pic avec 100% des places attribuées aux futurs internes. "Lorsque les néo-internes n’[avaient] plus le choix qu’entre la médecine générale et d’autres spécialités (psychiatrie, médecine du travail, médecine d’urgences, gériatrie, santé publique…), ils et elles [ont globalement préféré] choisir médecine générale", précise d'ailleurs l'ISNAR-IMG.

Chaque année, environ 9.500 étudiants en sixième année de médecine passent en effet les ECN pour être admis dans l'une des 44 spécialités médicales ou chirurgicales (voire encadré). Les choix se font dans l'ordre du classement, du premier jusqu'au dernier qui a le choix entre les quelques postes restants dans certaines spécialités. Pour les candidats, la question est donc de savoir s'ils vont pouvoir choisir la spécialité qu'ils souhaitent. Ils se fient alors au rang limite : le rang du dernier candidat qui a choisi la même affectation l'année passée.

Or, en médecine générale, ce rang limite ne cesse de se rapprocher de la fin du classement. En 2022, il y avait 346 places d'écart entre la dernière personne ayant choisi médecine générale et la dernière personne classée aux ECN. "C’était tout un symbole : les médecins généralistes n’étaient plus les médecins qui 'échouaient' à l’internat, puisque beaucoup de candidats mal classés ne pouvaient plus choisir cette spécialité." Mais en 2023, cet écart n'était plus que de 10 places.

Depuis la rentrée 2023, les ECN ont été supprimés au profit d'autres épreuves, les EDN (épreuves dématérialisées nationales). Ces épreuves sont déterminantes pour accéder à l'internat mais d'autres éléments sont pris en compte : les ECOS (examens cliniques objectifs et structurés) et le parcours de formation.

Il n'y aura plus non plus un seul classement pour les 9.500 étudiants en sixième année de médecine mais 13 classements regroupant des familles de spécialités. La médecine générale fait justement partie d'un classement à part. Les futurs internes auront donc 13 rangs différents selon les classements. Il sera donc plus difficile d'établir la baisse de l'attractivité en 2024.

Une baisse de l'attractivité de la spécialité de médecine générale, accentuée en 2023

En plus de ce net recul, il s'avère aussi que les étudiants les mieux classés choisissent moins cette spécialité. En 2022, 10% des néo-internes en médecine générale étaient classés sous la barre du 3.059e rang, on arrive au 3.177e rang en 2023. Un quart des étudiants en médecine générale étaient également mieux classés que le 4.816e l'année dernière, on atteint la 5.107e place en 2023.

Idem lorsque l'on compare le rang médian des internes en médecine générale : en 2017, la moitié des internes admis étaient classés sous la barre du 5.874e rang et l'autre moitié au dessus. En 2020, on passe à la 6.007e place. Logique puisque le nombre de postes ouverts en médecine générale augmente chaque année (+14,73% entre 2020 et 2023). Oui mais non car cette inflation est justement prise en compte dans les calculs.

"Ainsi, être 6.007e sur 8.424 en 2020 correspond au fait d’être 6.358e sur 8.854e en 2022." Jusqu'à l'année dernière, d'ailleurs, le rang médian a toujours été plus faible que les prévisions. Une bonne nouvelle mais qui n'est plus le cas en 2023. Le rang médian en médecine générale cette année est de 6.807e sur 9.727 candidats alors qu'il aurait plutôt dû être aux alentours de 6.750.

De plus en plus de réformes qui déstabilisent la spécialité

Cette rupture plus marquée en 2023 n'a rien de surprenant au vue du contexte. Avec une nouvelle réforme annonçant la mise en place d'une quatrième année d'internat supplémentaire, l'attractivité est en berne. "La médecine générale était entre autres choisie pour sa brièveté. Or, c’est le flou qui a régné et qui règne toujours sur le contenu de la quatrième année. Ce brouillard entourant le DES de médecine générale n’a pu être que néfaste à l’attractivité de la discipline."

À cela s'ajoutent des "menaces constantes sur la liberté d'installation", comme l'obligation d'exercer dans des zones sous-denses qui a été à plusieurs reprises évoquée cette année. L'INSAR-IMG évoque aussi "une fébrilité sur les missions qui relèvent de la spécialité" soulevées dans différents amendements à l'Assemblée nationale.

Un recours pour suspendre la mise en place de la quatrième année de médecine générale

Les nouveaux internes en médecine générale prendront leur poste en novembre prochain pour une durée de quatre ans, comme le prévoit la loi. Pour autant, l'intersyndicale continue de demande la suspension de cette réforme : "La situation actuelle ne permet pas aux néo-internes d'envisager sereinement leur choix de spécialité."

L'intersyndicale nationale des internes (ISNI) lance quant à elle un recours auprès du gouvernement pour demander un report de la mise en place de cette quatrième année. "Cela est source d’inquiétude majeure chez les étudiants, et désormais chez les nouveaux internes en médecine générale, qui ont dû choisir leur spécialité sans avoir une idée précise de son contenu", estime l'ISNI.

Un manque d'attractivité à relativiser ?

Au contraire, le ministre de la Santé, Aurélien Rousseau, a de son côté parlé d'une responsabilité commune à l'occasion du congrès de la Confédération des syndicats médicaux français le 6 octobre dernier. "Je pense que dans quelques années, on demandera des comptes à certains de vos jeunes confrères, quand je vois les choix des ECN. Je me pose des questions aussi, sur ce métier qui ne doit pas devenir un métier comme les autres. Lorsque la psychiatrie sort en dernier et la chirurgie plastique en premier, je m’interroge", a-t-il insinué, "provoquant l'indignation de la salle" comme le rapportent nos confrères dans le média Egora.

Benoit Veber, le président de la conférence des doyens de médecine, également interrogé sur le sujet le 19 septembre dernier, ne parle pas d'une baisse d'attractivité en médecine générale. "C'est difficile d'interpréter les chiffres sur la fin du classement. Il y a des étudiants bien classés qui choisissent la médecine générale aussi. On a des choix positifs et des choix par défaut, il faut leur faire aimer cette spécialité mais ce choix se fait au mérite et c'est la méthode la plus juste possible."

Reste à savoir si cette réforme aura aussi un impact sur les actuels étudiants en sixième année dans le choix de la médecine générale l'année prochaine et donc s'il faut s'attendre à une poursuite de la baisse d'attractivité dans les années à venir. Ou s'il s'agit d'une année exceptionnelle.

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