Interview

Imane Ouelhadj-Mélanie Luce (UNEF) : "Nous voulons une allocation d’autonomie pour tous les étudiants"

Mélanie Luce (à gauche) a démissionné de l'UNEF pour se consacrer à ses projets personnels et ses études. Imane Ouelhadj a pris la tête du syndicat le 4 mars.
Mélanie Luce (à gauche) a démissionné de l'UNEF pour se consacrer à ses projets personnels et ses études. Imane Ouelhadj a pris la tête du syndicat le 4 mars. © Amélie Petitdemange
Par Amélie Petitdemange, publié le 21 mars 2022
9 min

Imane Ouelhadj, étudiante en sciences politiques, a été élue présidente de l’UNEF le 4 mars. Elle succède à Mélanie Luce, qui avait démissionné quelques jours auparavant. Les deux jeunes femmes dessinent les batailles à venir pour le syndicat étudiant. Interview croisée.

Mélanie Luce, vous avez annoncé votre démission récemment, évoquant "un mandat fort en batailles syndicales". Quelles ont été les grandes avancées en matière de droits étudiants ces dernières années ?

Mélanie Luce :

Nous avons fait face à de nombreuses réformes allant à l’encontre des droits des étudiants. Notre grande bataille syndicale a eu lieu en janvier 2021 (pendant la crise sanitaire, NDLR) : nous avons construit une mobilisation pour faire prendre conscience que les étudiants mouraient de faim et d’angoisse. Nous avons obtenu le repas à un euro pour tous, le chèque psy et la réouverture des universités à 20%. C’était insuffisant mais essentiel car nous faisions face à une vague de suicide. Remettre un pied dans la fac a été une bouffée d’air extrêmement importante.

Nous avons aussi obtenu deux aides d’urgence : une de 200 euros pour les jeunes qui avaient perdu leur stage ou leur emploi, puis une autre de 150 euros.

La création de places en licence et en master a également été le résultat des deux derniers mandats. Nous avons aussi remporté des victoires individuelles avec SOS inscription. Inscrire ne serait-ce qu’un étudiant à la fac grâce à ce dispositif, c’est déjà une victoire.

Pour les frais d’inscription des étudiants étrangers, nous avons perdu la bataille dans la rue car la loi est passée. Mais dans les faits, les étudiants n’ont pas vu les résultats de cette réforme car elle n’a pas été appliquée dans de nombreuses universités.

À l'approche de l'élection présidentielle, quel message souhaitez-vous porter auprès des candidats ?

Imane Ouelhadj : Cette présidentielle est un tournant pour les étudiants. Il est nécessaire de prendre des mesures concrètes pour les jeunes : mettre fin à la sélection, lutter contre la précarité, réformer le système de bourses. Nous tirons la sonnette d'alarme sur la question de la précarité et nous demandons une allocation d’autonomie. La sélection se fait aussi socialement : moins on a d’argent, moins on peut continuer ses études de façon sereine.
Mélanie Luce : Je rejoins ce que dit Imane. Le message que je veux faire passer en partant, c’est que notre génération attend d’être entendue. Dès novembre dernier, nous avons sorti un livre blanc avec des propositions. Le rôle des politiques, c’est de traduire ça en projets politiques et en réformes.

Quelle que soit la personne au pouvoir - car nous ne prenons pas position - elle doit prendre en considération la jeunesse. Et non la stigmatiser ou ridiculiser ses revendications. Pendant mon mandat, Emmanuel Macron a dit qu’il nous entendait, qu’il voyait cette précarité, mais il n’a rien fait. Nous en avons marre de la langue de bois, que ce soit sur les questions sociales, universitaires, écologiques ou encore de discrimination.

L'année 2021 a été marquée par le mouvement des étudiants sans master. Quelles solutions sont envisageables ?

Imane Ouelhadj : Pour résoudre cette problématique, il faut créer des places dans le supérieur. Il faut donc augmenter le budget alloué à l’enseignement supérieur. Nous voyons le manque de financement au quotidien dans nos universités : murs délabrés, manque de moyens pour faire vivre les campus…

Par ailleurs, nous demandons des bilans des places créées, que nous n’obtenons jamais. Le ministère dit par exemple avoir créé des places en STAPS mais on ne sait pas dans quelles universités. Pour les 4.000 places créées en master, nous ne savons pas quelles sont les filières ou les universités concernées.

Mélanie Luce : En master, il y a un droit à la poursuite d’études. Il faut appliquer cette loi. Mais il faut aussi que les universités aient la volonté d’ouvrir des places. Pendant mon mandat, nous avons mené la bataille des places en master et le ministère nous a assuré que certaines universités refusaient de créer des places, comme à Sorbonne Université par exemple. Certaines universités imposent un élitisme, considérant qu’avoir une licence ne suffit pas à entrer en master, même pour les étudiants formés chez elles. Cela crée une incompréhension chez les jeunes.

La précarité étudiante a été accentuée par la crise sanitaire. Quelles seront vos actions en faveur des étudiants ?

Imane Ouelhadj : Les élections au Crous de décembre dernier montrent que les étudiants attendent du gouvernement qu’il lutte contre la précarité étudiante. C’est devenu un leitmotiv de dire : "C’est normal de manger des pâtes tous les jours entre 18 et 25 ans". Mais ce n’est pas normal en fait. Nous avons besoin d’avoir des choses dans le ventre pour étudier.

Nous demandons une augmentation des échelons et du nombre de bénéficiaires des bourses et un complément pour les étudiants d’Outre-mer. Mais ce ne sera pas suffisant, car le système de bourse est à bout de souffle. On ne vit pas avec la carte bleue de papa et maman. C’est pourquoi nous demandons la fin de la familiarisation des bourses. Lorsqu’on fait son DSE (dossier social étudiant), il faudrait mettre son propre avis fiscal plutôt que celui des parents.

Nous réclamons enfin une allocation d’autonomie pour 2023, avec une ouverture des concertations dès la rentrée. Un montant mensuel basé sur le seuil de pauvreté serait versé chaque mois à tous les étudiants.

Mélanie Luce : Pour lutter contre la précarité, nous avons mis en place des distributions alimentaires, notamment lors du premier confinement. Mais nous sommes un syndicat étudiant, pas une association caritative. Nous n’avons pas toutes les ressources pour aller chercher de la nourriture etc. L’objectif, c’est de ne plus en avoir besoin.

Imane Ouelhadj, quelles seront les priorités de votre mandat ?

Imane Ouelhadj : Mon mandat s’inscrit dans une période difficile pour les étudiants, après cinq ans de politiques sociales et pédagogiques qui ont cassé nos droits avec la généralisation de la sélection avec Parcoursup, la fin de la compensation entre les semestres avec la loi ORE (orientation et réussite des étudiants, NDLR), et le manque de mesures pour sortir les jeunes de la précarité. L’enseignement supérieur n’est plus fait pour les catégories socio-professionnelles basses.

Mon objectif majeur est d'en démocratiser l’accès. Cela passera par la lutte contre la sélection, l’abrogation de la loi ORE et le financement de places supplémentaires. Nous demandons 10.000 places de plus en licence et en master à la rentrée prochaine, avec une augmentation progressive d’année en année pour mettre fin à la sélection. Évidemment, ça ne va pas se résoudre d’un claquement de doigts : ce sont aussi des infrastructures à créer, des enseignants-chercheurs à recruter…

Quels seront les thèmes abordés lors du 87e congrès de l’UNEF prévu à la fin du mois ?

Imane Ouelhadj :

La thématique globale est la démocratie et la façon d’impliquer les jeunes. Ce sont les grands oubliés de la campagne. Lors des débats, peu de candidats ont parlé de mesures pour les jeunes. À quelques jours du premier tour, nous les interpellerons pour remettre la question des jeunes au cœur du débat public. Pendant les trois jours, il y aura des temps où un candidat aura 30 minutes de présentation puis prendra des questions pendant 15 minutes. Des centaines d’étudiants venus de partout en France pourront débattre et trouver des solutions communes.

Nous voulons aussi requestionner la démocratie universitaire car la place des étudiants dans les instances universitaires est de moins en moins forte. Nous réfléchirons à la façon d’être acteur de notre enseignement, de donner notre avis sur la pédagogie.

Enfin, ce sera un moment important pour pouvoir discuter avec les autres corps intermédiaires : syndicats professionnels, organisations de jeunesse... La crise sanitaire a freiné l’engagement car lorsque la vie est de plus en plus compliquée, on passe sa personne en premier. Les jeunes ont préféré miser sur la réussite des études ou la recherche d’un travail plutôt que de s’engager. On va se questionner pour permettre à tous de s’engager.

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