Découverte

Du théâtre pour lever les tabous sur le mal-être des étudiants en santé

Les étudiants en santé répètent différentes scènes dont celle qui se déroule lors d'un accouchement en urgence.
Les étudiants en santé répètent différentes scènes dont celle qui se déroule lors d'un accouchement en urgence. © Photo fournie par le témoin
Par Pauline Bluteau, publié le 05 octobre 2021
7 min

Ils sont dix futurs infirmiers, sages-femmes ou médecins à s’être lancés dans l’aventure du théâtre-forum il y a plus d’un an à Poitiers. Cet exercice d’improvisation met en scène des situations parfois difficiles vécues par les étudiants lors de leurs stages. Un bon outil pour prendre confiance en soi et être mieux armé face à ses supérieurs ou à ses patients.

À quelques jours de leur représentation, le 14 octobre prochain, le stress et l’excitation ont pris le dessus sur les apprentis-comédiens. Il faut dire que le petit groupe attend ce moment depuis plus d’un an. "Ça fait des mois qu’on n’a pas joué tous ensemble à cause de la crise sanitaire, on est déjà impatients de se retrouver", explique Romane, 22 ans, étudiante en quatrième année de maïeutique (sage-femme) et co-organisatrice de ce théâtre-forum.

L’objectif : à partir de trois situations vécues par les étudiants en santé, le public peut interagir et monter sur scène en prenant la place d’un comédien pour tenter de trouver une issue. L'un des scénarios se déroule par exemple au sein d'un bloc opératoire pour un accouchement en urgence, la tension monte entre le médecin et les futurs soignants. La suite, c'est donc au public de l'écrire. Un vrai challenge qui permet à la fois de mettre en lumière les situations indélicates vécues par les étudiants et surtout, de les aider à trouver des outils pour s’en sortir.

Un projet né grâce aux étudiants en santé

Romane et Edna - 23 ans, étudiante en cinquième année de maïeutique à Poitiers également - ont lancé ce projet après avoir recueilli de nombreux témoignages sur les difficultés auxquelles sont confrontés les étudiants en santé, notamment pendant leurs stages à l’hôpital. "On était vice-présidentes en charge de la culture au sein de l’AESFP (association des étudiants sages-femmes de Poitiers), on aimait bien le théâtre d’improvisation et on s’est demandé ce qu’on pouvait mettre en place pour changer les choses", raconte Edna.

Très vite, les deux étudiantes se rapprochent de la Compagnie Arlette-Moreau et du comédien Nicolas Hay. "Elles voulaient participer à des ateliers de prise de parole en public pour apprendre à se défendre, précise-t-il. En discutant de leurs problématiques, je leur ai proposé le théâtre-forum qui me paraissait plus adapté car il s’agit de redonner le pouvoir aux personnes opprimées." Les futures sages-femmes se lancent et réussissent à convaincre huit autres étudiants de les rejoindre.

Libérer la parole pour se sentir moins seul

Dont Fleur, 24 ans, en cinquième année de médecine. "Je connaissais Romane, elle me parlait de ses stages et quand j’ai commencé à en faire en troisième année, j’ai aussi très vite été confrontée à des remarques injustes. Comme cette fois, lors d’une garde en gynécologie, où une interne a dû agir en moins de 30 minutes pour faire sortir un bébé. Elle s’est fait remonter les bretelles par la cheffe qui avait vu la scène mais attendait que l’interne l’appelle. J’ai trouvé ça vicieux et injuste. Parfois, les chefs ne se rendent pas compte de l’impact que peut avoir une phrase sur nous. Dans l’urgence, on ne sait pas où se mettre et on nous répond mal : 'pousse-toi, je t’ai déjà montré comment faire et tu n’y arrives toujours pas !'. On comprend leur réaction sous le coup du stress mais c’est aussi leur rôle d’être pédagogue et d’avoir les mots justes."

Romane, Edna et Fleur participent au théâtre-forum pour mettre en lumière le mal-être des étudiants en santé.
Romane, Edna et Fleur participent au théâtre-forum pour mettre en lumière le mal-être des étudiants en santé. © Photo fournie par le témoin

L’étudiante, pourtant timide et pas du tout familière du théâtre, décide de rejoindre la troupe et de passer outre sa "peur du ridicule et du regard des autres". "Comme il y a des étudiants de différentes spécialités, le projet nous permet de voir qu’on est légitime de penser que ce ne sont pas des situations normales, poursuit Fleur. C’est important de parler de ce malaise et ce mal-être entre nous mais aussi d’être entendu par le public même si ce ne sont pas tous des professionnels de la santé car en matière d’encadrement, tout le monde est concerné."

Développer l’écoute et la bienveillance grâce au théâtre

Pour le comédien Nicolas Hay, ce projet était à la fois l’occasion d'inventer des scènes les plus réelles possible mais aussi de faire naitre un groupe en créant de la confiance et de l’écoute tout en transmettant des compétences d’écriture et d’interprétation. "Je suis très fier d’eux et d’elles, ce n’est pas facile de parler de ce qu’il se passe dans les hôpitaux car c’est un milieu très complexe." Chaque début de scène dure environ 1'30 min. Ils les rejouent avec le public jusqu’à trouver un dénouement convaincant. Les étudiants en santé vont donc principalement devoir improviser. "Cela demande de l’entrainement, du travail, du laisser-aller et beaucoup d’écoute", souligne-t-il.

Des techniques retenues par Fleur et qui devraient l’aider aussi au quotidien. "On a fait beaucoup d’exercices de respiration, c’est important pour gérer le stress. On a aussi appris à parler fort, à jouer avec notre corps, à faire l’imbécile devant les autres… Autant de choses que l’on ne fait pas naturellement", s’amuse la jeune femme. La future médecin espère que le théâtre-forum aura aussi à terme un impact sur sa pratique. "Je pense que ça me donnera plus de courage. J’espère éviter de devenir comme certains chefs parce qu’on a tendance à oublier, quand on est dedans tout le temps, que l’on a aussi été étudiant. J’espère être bienveillante."

"Le théâtre nous permet d’extérioriser d’une autre façon ce qu’on a vécu, on espère que l’université s’en emparera car il y a un vrai intérêt pédagogique", plaident Edna et Romane. Un avis partagé par le membre de la Compagnie Arlette-Moreau, pour qui "savoir s’affirmer, écouter ou poser sa voix" sont autant de "qualités transversales nécessaires", que l’on soit étudiant ou non. Affaire à suivre.

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