Décryptage

Médecins généralistes : "Aujourd'hui, avoir le diplôme ne veut plus dire qu'on va exercer en tant que médecin de famille"

Par Rachel Rodrigues, publié le 01 décembre 2023
5 min

Depuis leur première grève en décembre 2022, les médecins généralistes sont vent debout pour obtenir une revalorisation de leur rémunération, et plus de moyens pour exercer. Au-delà de l'enjeu financier, le métier, en proie à des évolutions de pratiques, connaît une baisse d'attractivité.

Une demande de soins en augmentation, des journées à rallonge et un travail administratif qui parasite les tâches médicales… La pratique du métier de médecin généraliste a évolué ces dernières années, impliquant des conditions de travail de plus en plus dénoncées par la profession.

Et pour cause, les mouvements de grève initiés par ces médecins se multiplient, le dernier en date ayant eu lieu le 13 octobre. Les négociations entre les syndicats de médecine libérale et l'Assurance maladie ont également repris le 14 novembre dernier, et doivent s'étaler jusqu'en janvier prochain.

Outre cette volonté d'augmenter les tarifs, que se passe-t-il réellement au sein de la profession ? L'Etudiant fait le point sur ce métier en crise, qui attire de moins en moins les futurs médecins.

Des patients aux pathologies plus lourdes

D'abord, le vieillissement de la population a entraîné une augmentation des pathologies lourdes chez les patients, notamment en ce qui concerne les maladies chroniques. "Aujourd'hui, on compte plus de quatre millions de personnes diabétiques en France", illustre à ce titre Yohan Saynac, médecin généraliste en Seine-Saint-Denis (93) et cadre au syndicat MG France.

La prise en charge des patients souffrant de maladies chroniques demande alors un temps de soins plus important. "Il faut prévenir la survenue d'accidents de santé liés à la maladie", explique le médecin.

Par ailleurs, tout un travail d'éducation thérapeutique doit être mené, "pour que le patient apprenne à comprendre sa maladie et sache comment la gérer en adaptant son mode de vie au quotidien", complète-t-il. Cela implique un temps passé en consultation plus long.

Des suivis difficilement tenables

Avec l'augmentation du nombre de patients, les médecins généralistes se retrouvent vite surchargés et incapables de répondre à l'ensemble des besoins. En 2022, 65% des médecins déclaraient être amenés à refuser de nouveaux patients comme médecin traitant, contre 53% en 2019, d'après une étude de la Drees parue en mai.

Autre chiffre important : pour pallier cet écart entre l'offre et la demande de soins, 44% des médecins généralistes décident de voir moins fréquemment certains patients qu'ils suivent régulièrement, contre 40% en 2019.

Une profession qui attire de moins en moins ?

En parallèle, le nombre de médecins généralistes est encore trop faible. Entre 2012 et 2021, il a chuté de 5,6% alors que le nombre de médecins d’autres spécialités a augmenté de 6,4%, révèle la Drees dans une autre étude.

Cela est dû en partie au numerus clausus instauré en 1971 et remplacé en 2021 par un numerus apertus, soit un nombre de places en médecine défini par université, mais aussi au vieillissement de la population, et donc, de la profession.

"Beaucoup d'emplois de médecins généralistes partis à la retraite ne sont pas encore compensés par les étudiants formés", explique Raphaël Dachicourt, président du syndicat ReAGJIR (Regroupement autonome des généralistes jeunes installés et remplaçants).

Or, du côté des étudiants, la spécialité de médecine générale attire de moins en moins les internes. En 2023, c'était même l'une des dernières spécialités choisies par les étudiants en médecine.

Florie Sullerot précise : "le recul de l'attractivité de la spécialité en 2023 est dû en partie à la mise en place d'une quatrième année d'internat" explique la présidente de l'ISNAR-IMG (Intersyndicale nationale autonome représentative des internes de médecine générale).

Une formation déconnectée de la médecine libérale

Pour cause également, d'après Raphaël Dachicourt : la formation, "historiquement très hospitalo-centrée", est encore trop peu adaptée à la médecine générale.

Au moment de faire leur choix de spécialité, en fin de sixième année, nombre des étudiants n'ont été que trop peu confrontés à un milieu non-hospitalier. Une tendance qui se confirme pendant l'internat.

"Sur les six stages obligatoires pendant le cursus, seuls deux sont effectués en médecine de ville", regrette Raphaël Dachicourt. Résultat : "les étudiants ont du mal à se projeter dans l'exercice de la médecine libérale", précise-t-il.

Des freins à l'installation en cabinet des jeunes médecins

D'autant plus que s'installer en tant que médecin généraliste implique de nombreuses démarches administratives et une connaissance pointue du territoire qu'il est parfois difficile d'appréhender en tant que jeune diplômé.

A ce sujet, un guichet unique devrait progressivement être mis en place dans les régions pour mieux accompagner les jeunes médecins dans leur installation.

En attendant, ces freins à l'installation peuvent inciter certains médecins diplômés à se détourner de la médecine générale exercée en libéral, pour se tourner vers d'autres spécialités, selon le président de ReAGJIR.

Par ailleurs, "aujourd'hui, avoir le diplôme ne veut plus dire qu'on va exercer en tant que médecin de famille", ajoute-t-il. D'après des données de la Drees de 2021, 20% des médecins généralistes exercent en salariat hospitalier, et 65% exercent de manière mixte, avec une partie en libéral, et une autre en salariat hospitalier.

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