Enquête

"Aujourd'hui ton violeur, demain ton docteur": fin de l'omerta à la faculté de médecine de Tours

Collage @actions_feministes_Tours à l'université de Tours
Collage @actions_feministes_Tours à l'université de Tours © @actions_feministes_Tours
Par Pauline Bluteau, publié le 28 avril 2022
9 min

L'affaire date de septembre 2020 mais a refait surface mi-avril à la faculté de médecine de Tours. Le doyen est accusé de complaisance pour avoir appuyé le transfert d'un étudiant externe mis en cause pour viol et agressions sexuelles vers l'université de Limoges. Une enquête menée par l'inspection générale de l'éducation (IGESR) est en cours.

Des phrases accusatrices et dénonciatrices placardées sur les murs de la faculté de médecine de Tours : c'est par ces collages revendiqués par le collectif Actions féministes Tours que l'affaire est réapparue au sein de l'université le 15 avril dernier, à la surprise générale.

Car les faits remontent en réalité à 2020. À la rentrée, des étudiantes décidaient alors de porter plainte pour viol et agressions sexuelles à l'encontre d'un étudiant en médecine. Le jeune externe est immédiatement exclu de l'université et retiré de son stage. Il est ensuite placé en détention provisoire pendant deux mois. Sous contrôle judiciaire, le tribunal de Tours interdit à l'étudiant de séjourner dans le département d'Indre-et-Loire.

Pour préserver la poursuite d'études de l'étudiant qui n'en reste pas moins présumé innocent, le doyen organise son transfert vers la faculté de médecine de Limoges pour la rentrée 2021. La goutte de trop pour l'ANEMF (association nationale des étudiants en médecine de France) qui accuse le doyen Patrice Diot de complaisance.

Le "ras-le-bol" des étudiants en médecine à Tours face aux violences sexistes et sexuelles

Un sentiment partagé par une étudiante en médecine à l'université Tours qui souhaite rester anonyme. "Les violences sexistes et sexuelles (VSS) sont passées sous le tapis, donc ça a explosé. Ces collages sont l'expression d'un ras-le-bol", suppose-t-elle. Selon l'étudiante, les problèmes d'harcèlements sexuels ne sont pas nouveaux à Tours, notamment lors des stages.

Mais face au peu de réaction de la part de la direction, les étudiants en médecine expriment aujourd'hui une certaine défiance vis-à-vis de leur doyen. "Rien ne va dans cette affaire, le doyen n'a jamais été inquiété, il a même recommandé le transfert de l'étudiant (accusation réfutée par le doyen, ndlr), or, les transferts entre université sont assez rares en médecine, estime-t-elle. Aujourd’hui, on se demande comment notre doyen peut encore être doyen…"

Collage @actions_feministes_Tours à l'université de Tours
Collage @actions_feministes_Tours à l'université de Tours © Instagram @actions_feministes_Tours

À Limoges, les étudiants en médecine choqués

En cause également, l'université de Limoges qui a accepté d'accueillir l'étudiant en médecine à la rentrée 2021. Isabelle Klock-Fontanille, la présidente, se justifie : "Le doyen de Limoges a accepté l'étudiant en raison de la présomption d'innocence. Il a estimé que ce n'était pas à lui de refuser une demande, il ne voyait pas sur quelles bases il aurait pu s'appuyer. Ce n'est pas à nous de rendre la justice."

Informée par le tribunal judiciaire de Tours des faits reprochés à l'étudiant en médecine, l'université de Limoges met en place des mesures de surveillance, comme le recommande le procureur.

D'après une étudiante limougeaude – qui souhaite elle aussi rester anonyme -, l'étudiant se ferait plutôt fait discret depuis son arrivée à Limoges. "Soit il a été évincé de toutes les soirées, soit il s'est lui-même mis en retrait mais je n'ai entendu aucun événement indésirable à son encontre", raconte-elle.

Depuis janvier déjà, des rumeurs sur le parcours judiciaire du jeune homme semblaient courir au sein de la faculté de médecine et de sa nouvelle promotion. "Cela a eu un effet de choc parce qu'on n'était pas habitué à ça. Beaucoup d'étudiants ont mal pris cette affaire, c'est assez tendu. L'étudiant a été mis de côté dans sa promotion parce qu'il y a eu une prise de conscience, les filles évitent de se retrouver seules avec lui."

Mieux protéger les étudiants contre les violences sexistes et sexuelles

Pour autant, selon le président de la conférence des doyens de médecine, Didier Samuel, les accusations de complaisance vis-à-vis des doyens de Tours et de Limoges sont injustifiées. "D'après les éléments que l'on m'a transmis, le procureur aurait affirmé au doyen Diot qu'il ne pouvait pas l'empêcher de mettre un terme à ses études, d'où le transfert de l'étudiant, souligne-t-il. Je n'adhère pas du tout aux accusations de complaisance des deux doyens de Tours et Limoges, le terme n'est pas justifié. En revanche, nous estimons que la période a pu être difficile à gérer et que sa gestion peut être remise en cause."

Dans un communiqué de presse, la faculté de médecine de Tours réfute aussi toute complaisance : "En aucun cas l’action du doyen n’a eu pour but de protéger l’accusé ou de dissimuler les faits. L’ensemble de la procédure a été mené avant tout dans l’intérêt des plaignantes, dans le respect du droit et du code de procédure pénale."

Néanmoins, vendredi dernier, à la demande de l'université de Tours, le ministère de l'Enseignement supérieur a accepté la demande d'ouverture d'une enquête par l'inspection générale de l'éducation, du sport et de la recherche (IGESR). "Cette mission est essentielle pour savoir s'il y a eu des dysfonctionnements. Il faudra attendre les conclusions pour éviter toutes récidives et mieux agir entre le moment où les faits sont signalés et les accusations."

Collage @actions_feministes_Tours à l'université de Tours
Collage @actions_feministes_Tours à l'université de Tours © Instagram @actions_feministes_Tours

"Le rôle d'un doyen est avant tout de protéger ses étudiants"

Le président de la conférence, également doyen de la faculté de médecine de Paris-Saclay, estime que le rôle d'un doyen est avant tout de protéger ses étudiants. "Notre rôle, c'est de faire en sorte que cela n'arrive pas. Aujourd'hui, on sait qu'il se passe des choses pendant les soirées ou les stages mais nous avons besoin de déclaratif pour agir, les étudiants ne doivent plus avoir peur de parler."

La présidente de l'université de Limoges compte d'ailleurs rencontrer ses étudiants en médecine dès la semaine prochaine. "Et en fonction de la discussion, nous déciderons de la suite, notamment leur proposer un soutien psychologique". Isabelle Klock-Fontanille n'exclut pas non plus une enquête au sein de son université pour peser sur "la gravité" de la situation. "Maintenant que l'affaire est publique, on ne sait pas non plus si cela aura des conséquences sur l'étudiant, peut-être que cela ne va rien changer, je n'en ai aucune idée."

Positive, la présidente veut retenir une seule chose dans cette histoire : la libération de la parole des victimes.

Violences sexistes et sexuelles (VSS) : comment libérer la parole dans les établissements du supérieur ?

Si l'omerta règne encore dans les facultés de médecine, c'est aussi car les témoignages restent anonymes. Pour le président de la conférence des doyens de médecine, il est important que les victimes donnent des noms car "les universités n'ont aucun moyen d'investiguer".

Parlez-en à des personnes de confiance : en premier lieu, aux référents égalité ou VSS, formés pour recueillir votre parole. Dans les établissements, une adresse mail générique doit aussi prendre la mesure de toutes les situations. Mais n'hésitez pas non plus à en informer un enseignant ou à contacter directement le doyen ou le président de votre université. Et ce, quelle que soit la gravité des faits, la difficulté à les qualifier et le lieu où ils ont été commis (en stage ou à l'extérieur de l'université).

Les mesures sont ensuite bien définies : écoute immédiate et bienveillante du plaignant (auprès de la direction notamment) et écoute de la partie adverse avant de décider des suites. L'enjeu est d'évaluer les risques pour la victime et de prendre des mesures adéquates, à titre conservatoire. La justice peut ensuite être saisie et/ou des mesures disciplinaires peuvent être ajoutées par l'établissement. Tout se fait en concertation avec la victime.

Vous aimerez aussi

Contenus supplémentaires

Partagez sur les réseaux sociaux !