Témoignage

Réorientation : ils ont tout plaqué pour un CAP

De plus en plus de bacheliers généraux, d'étudiants et de jeunes diplômés du supérieur n'hésitent pas à se reconvertir dans l'apprentissage d'un métier manueL
De plus en plus de bacheliers généraux, d'étudiants et de jeunes diplômés du supérieur n'hésitent pas à se reconvertir dans l'apprentissage d'un métier manueL © Etienne Gless
Par Étienne Gless, publié le 17 septembre 2018
8 min

Poussés par diverses raisons, de plus en plus d’étudiants ou de jeunes diplômés se réorientent vers l’apprentissage d’un métier manuel. Témoignages et conseils pour oser franchir le pas et se réorienter avec succès.

"En début de M2 droit de l’environnement à la Sorbonne, j’ai fait une dépression et j’ai commencé à douter de la voie dans laquelle je m'étais engagée. Pourtant, je réussissais jusque-là. Mais, après mon bac L, j’avais surtout choisi ces études par défaut." En septembre 2018, Fanny a quitté l’université pour rejoindre l’école de cuisine Ferrandi et préparer un CAP de pâtissier.

C’est seulement en 5e année de droit que Fanny s’est interrogée : "Je me sentais mal, je ne m’alimentais plus normalement, j’allais en cours sans envie. Bien sûr, avec un master en droit, j’aurais une bonne situation. Mais est-ce que je serais heureuse dans mon travail ?". Depuis toute petite, Fanny pratique la pâtisserie "en loisir".

Aujourd'hui, à 23 ans, elle s’est autorisée à faire le métier qui lui plaît. "Dès que j’ai pris la décision de me former à la pâtisserie, j’ai été délivrée d’un poids et j’ai retrouvé l’envie de faire les choses."

Quand les postes ne correspondent pas au diplôme

L'exemple de Fanny est loin d'être un cas isolé. De plus en plus d’étudiants ou de jeunes diplômés se réorientent en cours d’études ou au moment d'entrer sur le marché du travail. 14 % des diplômés bac+5 se reconvertissent ainsi en début de carrière selon une enquête de l'APEC (Association pour l'emploi des cadres).

Les raisons sont multiples. Par exemple, il peuvent avoir rencontré des difficultés à trouver un emploi correspondant à leur diplôme. Parfois, la bifurcation est spectaculaire. "J’étais journaliste diplômé mais je ne trouvais pas de CDI [contrat à durée indéterminée] en Poitou-Charentes. Je me forme actuellement à devenir boucher", explique ainsi Benjamin. À 29 ans, il termine actuellement son CAP boucher au CFA (centre de formation d'apprentis) de la chambre des métiers et de l’artisanat de la Vienne. "J'ai un ami boucher qui possède sa boutique et était prêt à m'embaucher à 3.000 € net une fois ma formation terminée, explique Benjamin, ravi. J'ai toujours été gastronome. J'ai même tenu un blog culinaire et j'avais très envie de m'investir dans un métier manuel."

La crainte d'exercer un "bullshit job"

Second motif de réorientation ou de reconversion : l'impression de subir, de ne pas s’épanouir, de ne pas faire ce que l’on aime vraiment. De plus en plus de jeunes diplômés en poste semblent insatisfaits de leur vie professionnelle. Le sentiment s'installe d’exercer un job inutile et vide de sens, un "bullshit job" pour reprendre la terminologie de l’anthropologue américain David Graeber.

"L'absence de sens est l'une des 12 plaies du travail au XXIe siècle", estime Mickaël Mangot, docteur en économie, professeur à l'ESSEC et auteur de "Le boulot qui cache la forêt".

Pour s'épanouir dans son métier

Certains font le choix de s'orienter vers un métier manuel qui leur plaît juste après un bac général plutôt que d'emprunter la toute tracée voie des études supérieures.

Ainsi, après son bac ES, Jeanne-Marie a préparé un CAP arts et techniques de la bijouterie à l'École de la bijouterie joaillerie de Paris puis un brevet des métiers d'art en alternance dans une entreprise qui travaille pour des grandes maisons de la place Vendôme.

"Chaque professionnel rencontré à ces occasions me fait découvrir ses propres techniques. J'essaie de me les approprier avant de trouver celle qui me convient le mieux. C'est excellent pour se perfectionner", explique cette passionnée de dessin de 22 ans.

De son côté, Marine, également bachelière ES, a passé trois ans en fac d'économie avant de se former au métier de peintre décorateur et s'installer à son compte en 2017.

Quel que soit le motif, cette quête d’épanouissement professionnel n'est pas toujours facile à satisfaire. D'autant que la pression sociale (parents, professeurs...) est forte et souvent déterminante dans le choix de la voie d'études empruntée. Il faut d'abord prendre conscience que le parcours suivi ne convient pas, puis l'accepter et enfin oser en changer.

"J'ai fait une première S, mais je n'étais pas épanoui. J'ai vu une conseillère d'orientation et j'ai découvert le métier de tailleur de pierre auquel je n'avais jamais pensé auparavant", témoigne Joseph, 22 ans, qui a laissé tomber ses études générales au lycée pour entrer en apprentissage. Après son CAP tailleur de pierre, le jeune homme a suivi un bac professionnel en alternance et poursuit actuellement sa formation chez les Compagnons du devoir tout en participant à des compétitions. En 2017, Joseph a gagné une médaille de bronze aux Olympiades des métiers d'Abu Dhabi.

Prêt à payer un coût financier...

Une fois prise la décision de changer de voie, deux gros obstacles restent à franchir : l'entourage qui n'est pas toujours enthousiaste et le coût du rêve qui peut être élevé, financièrement et socialement. "Ma mère cadre commercial me soutient de manière inconditionnelle dans mon projet, confie Fanny. Mais mon père, ingénieur, est un peu déçu que je ne sois pas allée au bout de mes études de droit." Pour financer l'apprentissage du métier qui lui plaît vraiment, Fanny a multiplié les jobs entre le moment où elle a arrêté la fac, en janvier, et son entrée en CAP début septembre.

"L'année à l'école Ferrandi coûte 9.000 €. Il fallait travailler le plus tôt possible pour la financer. J'ai été trois mois manutentionnaire chez Castorama, un job physique mais qui me convenait. J'ai enchaîné sur quelques missions d'intérim comme hôtesse sur des événements. Et en juillet-août j'ai été vendeuse dans un magasin de vêtements", détaille l'apprentie en pâtisserie.

... mais aussi social

"Si vos amis ne voient pas votre démarche d'un bon œil et ne vous soutiennent pas dans votre projet, il faut en changer !", conseille de son côté Benjamin, l'ancien journaliste et futur boucher. Le prix du rêve n'est peut-être pas le coût de la formation, qui peut être pris en charge par l'entreprise si vous êtes en contrat d'apprentissage. En revanche, il faut être prêt à accepter une baisse de salaire quand on est jeune diplômé d’une école prestigieuse et qu’on a commencé à bien gagner sa vie.

Préparez-vous aussi à affronter les commentaires de ceux qui s'étonnent de vous voir changer d'optique. "Oui, c'est peut-être un diplôme infrabac, mais il va me permettre d'exercer le métier qui me plaît", répond ainsi Benjamin. Celui-ci conseille aux étudiants qui préparent un CAP après des études supérieures de jouer la carte de l'humilité. "À 29 ans, ce sont des jeunes de 16 ans qui m’apprennent le métier. Ils sont meilleurs que moi. Il faut l’accepter pour s’intégrer au reste de la classe."

Testez votre futur métier pour bien choisir votre nouvelle voie

Si vous envisagez un nouveau métier et une nouvelle formation, faites des stages, rencontrez des professionnels. Le but est de vous éviter d'idéaliser la profession, d'en cerner les difficultés et les contraintes et au final de trouver une voie qui vous correspond vraiment.

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