Témoignage

Souvenirs (mal)heureux d’ECN : "J'ai paniqué, je me suis mise à pleurer, j'ai perdu une demi-heure"

Avant 2016 et les épreuves informatisées, les ECN se déroulaient dans d'immenses centres d’examen.
Avant 2016 et les épreuves informatisées, les ECN se déroulaient dans d'immenses centres d’examen. © Baptiste Fenouil/REA
Par Camille Jourdan, publié le 05 mai 2023
8 min

En juin prochain, les étudiants en sixième année d’études de médecine passeront les épreuves classantes nationales (ECN). Ce concours, qui donne accès à l’internat, existe depuis 2004. Pour beaucoup d’actuels internes et de médecins passés par là, c’est un souvenir souvent douloureux, parfois joyeux, mais toujours marquant. Ils reviennent sur ces épreuves déterminantes.

"C’était comme si je partais en guerre." Pour Fabien*, et pour environ 9.000 étudiants chaque année depuis 2004, les ECN représentent souvent bien plus qu’un simple examen. "On n’est pas les seuls à passer un concours, mais celui-ci te dit quelle spécialité tu exerceras, la ville où tu vivras pour les trois prochaines années au minimum, et donc, finalement, si tu seras ou non un bon médecin", résume Manon, aujourd’hui gynécologue.

À l'occasion de la der des der, la dernière session des ECN avant la réforme en 2024, internes et médecins racontent comment ils ont vécu ces quelques jours et quelques mois intenses et mémorables pour le meilleur et pour le pire.

Un stress à n'en plus dormir

Bien que son externat remonte à 2015, Manon se souvient encore très bien de cette sixième année cruciale. D’abord des révisions : "J’avais un immense cahier, que je n’ai pas réussi à jeter, que je lisais tous les jours, et un autre, microscopique, qui était en permanence dans mon sac à main." Comme beaucoup, elle raconte les journées à la bibliothèque, les sorties réduites à néant, les nuits courtes… "Je ne dormais pas beaucoup à la fin, confirme Fabien, la veille de l’examen, j’ai révisé jusqu’à 3h du matin."

Leur niveau de stress était aussi lié à la spécialité qu’ils visaient : gynéco pour Manon, une spécialité chirurgicale ou médicale pour Fabien, des choix très prisés, nécessitant un bon classement. Alice, en revanche, a passé les ECN en 2013 en souhaitant à tout prix devenir médecin généraliste à Dijon, une spécialité et une ville moins demandées : "J’avais moins de pression", concède-t-elle. Jeanne, aujourd’hui cheffe de clinique en cardiologie, relativisait : "J’étais moins stressée qu’en première année (en PACES, devenue PASS-L.AS, ndlr). Je me disais que, quoi qu’il arrive, je trouverais une spécialité et une ville qui me plairaient."

Des ECN "très mal vécues" le jour J

Le jour J, Alice se souvient de cette "grande salle de concert, où nous devions être 2.000 ou 3.000, dans des rangées infinies". Avant 2016 et les épreuves informatisées, les ECN se déroulaient en effet dans quatre centres d’examen, répartis en France.
Pour Manon, c’était à Reims, ce qui impliquait une certaine logistique : "On avait réservé l’hôtel dès la veille du concours, ainsi qu’une nuit supplémentaire, au cas où il y ait une recomposition (en cas d’annulation d’une épreuve, ndlr)." Trois jours la tête dans les copies, à répondre à des cas cliniques. "Il y avait une obsession absolue du 'mot-clé', développe Alice, tu pouvais répondre juste à une question, mais s’il n’y avait pas LE mot-clé, tu n’avais pas les points."
Même après la réforme de 2016, et des épreuves organisées partout en France, sur tablette, le stress est resté intense. Faustine, candidate en 2022, les a "très mal vécues" : "C’était en juin, début de la canicule, il faisait chaud dans la salle et la clim ne marchait pas." Durant cette première épreuve de trois heures, elle devait étudier un dossier clinique, et répondre à une quinzaine de questions. Mais impossible de répondre à la suivante sans avoir validé la précédente. "La première portait sur quelque chose qu’on n’avait pas vu, j’ai paniqué. Je n’arrivais pas à valider, je me suis mise à pleurer, j’ai perdu une demi-heure..."

Des résultats à la hauteur des espérances… ou non pour les futurs internes en médecine

Mais le pire reste encore à venir. Après ces trois jours d’enfer pour certains, commence l’attente des résultats qui surviennent quelques semaines plus tard. "Le jour des résultats, j’étais en stage au Pérou, se souvient Jeanne. J’avais donné mes codes à ma mère et à mon frère, qui m’ont donné mon classement : 1.640e. Je savais que je pourrais avoir une spécialité médicale, dans une ville pas mal !" En arrivant un peu plus de 500e, Alice était "fière et contente" : "Même s’il y avait peu d’enjeu, ça me garantissait de pouvoir choisir de bons stages."
Manon, Fabien ou Faustine n’étaient pas aussi sereins. "Je ne pouvais pas regarder, c’est une copine qui l’a fait pour moi", sourit Manon, dont le classement l’a également soulagée.

Place à la déception pour certains futurs internes en médecine

Fabien, lui, n’arrivait pas à accéder au site, en raison de la trop forte affluence. "Un pote a réussi et nous a envoyé la liste. J’ai d’abord regardé le classement de mes amis : l’un était 4e, l’autre 998e. Puis les pages ont défilé, et j’ai trouvé le mien : 6.500 et quelques. Je suis resté figé, choqué et déçu."
Avec son classement, Faustine a rapidement su qu’elle aussi ne pourrait pas avoir la spécialité qu’elle lorgnait, la chirurgie digestive. Car après les résultats, les futurs internes simulent leurs vœux ce qui permet d'avoir des indications sur les chances d'obtenir la spécialité convoitée jusqu'au jour J, fin août-début septembre. Les candidats ont alors un créneau spécifique pour valider définitivement leur choix.
Durant plusieurs semaines, Faustine a donc scruté les simulations, puis les choix des étudiants mieux classés qu’elle. "Jusqu’à la veille des résultats définitifs, je pouvais avoir réanimation, ma deuxième option. Mais le vendredi matin, je ne l’avais plus." Comme Fabien, elle s’est "rabattue" sur la médecine générale. "Je n’ai pas encore complètement digéré", confie Faustine. Fabien a engagé un processus de droit au remords, et envisage de partir en Suisse pour un cursus en chirurgie orthopédique.

"Cruel", "injuste", système "débile"… Pour beaucoup d’étudiants, les ECN présentaient beaucoup de défauts. Est-ce que les nouvelles épreuves – épreuves dématérialisées nationales (EDN) et examens cliniques objectifs structurés (ECOS) - , en vigueur en 2024, répondront mieux à leurs attentes ? Rendez-vous dans dix ans !

*Le prénom a été modifié.

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