Le "parcours spécifique" aux aides-soignants pour intégrer des études de soins infirmiers contesté
Rentrer directement en deuxième année d'études de soins infirmiers, après trois mois de formation : le nouveau "parcours spécifique" pour les aides-soignants suscite un tollé. Les représentants des étudiants infirmiers ont d'ailleurs déposé un recours devant le Conseil d'État.
En discussions depuis des années, c'est un arrêté publié en juillet 2023 sur les passerelles qui a mis le feu aux poudres. Les aides-soignants peuvent désormais intégrer directement la deuxième année d'études infirmières, après un "parcours spécifique" de trois mois.
Pour y prétendre, les aides-soignants doivent avoir au moins trois ans d'expérience sur les cinq dernières années. Ils doivent également réussir la sélection à l'entrée en institut de formation en soins infirmiers (IFSI), par la voie de la formation professionnelle continue, qui existe de longue date.
Enfin, ils doivent avoir été repérés par leur employeur comme ayant le potentiel pour suivre ces trois mois de formation très denses, nécessitant un gros travail personnel.
Des aides-soignants qui risquent d'être en difficulté dans la formation de soins infirmiers
Malgré toutes ces conditions, la mesure, prise dans un contexte de pénurie d'infirmiers et d'un taux d'abandon important en IFSI, suscite l'inquiétude parmi les organisations infirmières. Six d'entre elles ont déposé un recours auprès du Conseil d'État, pour la faire annuler.
Parmi elles, la Fédération nationale des étudiants en sciences infirmières (Fnesi) craint surtout l'échec pour ceux qui s'engageront dans ce parcours. "Un encadrement renforcé est prévu, mais on ne voit pas comment il va pouvoir se mettre en place et ces étudiants vont se retrouver en grande difficulté. Ceux qui sont dans le parcours classique ont déjà parfois du mal à avoir un tuteur de stage, par manque de personnel. Beaucoup d'IFSI ont aussi des postes de formateurs vacants", expose Pauline Bourdin, la présidente qui tient à dire que son association "sera là pour ceux qui se lanceront" dans cette voie.
Une première année en soins infirmiers raccourcie et pourtant indispensable
Mais avec cette passerelle, la première année d'études en soins infirmiers est balayée alors que jugée "cruciale", par la Fnesi. Pourtant, l'inverse est déjà vrai. Après avoir validé leur première année, les étudiants infirmiers peuvent demander le diplôme d'aide-soignant par équivalence.
Mais les deux cursus sont très différents. "On ne voit pas uniquement ce que voient les aides-soignants. On apprend notamment les bases du raisonnement clinique", explique Pauline Bourdin.
"La première année en IFSI, c'est celle où il y a le plus d'enseignements théoriques, sur toutes les notions fondamentales, en anatomie, physiologie, pharmacologie... Les étudiants auront des lacunes qu'ils n'auront pas le temps de récupérer pendant les deux autres années", estime aussi Thierry Amouroux, porte-parole du syndicat national des professionnels infirmiers (SNPI), autre signataire du recours.
Deux formations, deux diplômes et des compétences distincts
D'autant, relève-t-il, que les trois mois du parcours spécifique incluent un stage de cinq semaines. "Rajouter des professionnels mal formés dans un hôpital déjà défaillant, c'est n'importe quoi", tranche Thierry Amouroux, qui dénonce une "mise en danger des patients" et évoque, par exemple, des risques "d'erreur de dosage", par manque de connaissances en pharmacologie.
La mesure, estiment-ils encore, va également à l'encontre des travaux en cours sur l'universitarisation de la formation infirmière. Aujourd'hui, le diplôme d'État en soins infirmiers est reconnu au grade licence, comme un bac+3. Au contraire, le diplôme d'aide-soignant est un diplôme de niveau bac.
"Des gens débarqueront directement en deuxième année de licence, sans même avoir le bac. Et d'où vont-ils sortir les 60 crédits ECTS de la première année (indispensable pour obtenir un bac+1, ndlr) ? C'est du bricolage", s'indigne Thierry Amouroux, qui espère que le Conseil d'État rendra sa décision avant la rentrée de septembre 2024, voire pour celle de février. L'arrêté peut en effet être appliqué dès à présent.