Enquête

Abandons en études de soins infirmiers : "Tout le monde s'est posé la question au moins une fois"

En 2021, près de 3.400 étudiantes ont abandonné leurs études de soins infirmiers en première année.
En 2021, près de 3.400 étudiantes ont abandonné leurs études de soins infirmiers en première année. © Laurent GRANDGUILLOT/REA
Par Pauline Bluteau, publié le 03 juillet 2023
1 min

INFOGRAPHIE. Qu'il s'agisse d'un choix par défaut sur Parcoursup, de mauvaises expériences en stage, mais aussi pour des raisons financières, de plus en plus d'étudiantes ne vont pas au bout de leur formation. Résultat : le taux d'abandon en études de soins infirmiers a doublé en dix ans. Sans compter toutes celles hésitent à sauter le pas.

Manon est une étudiante passionnée. Après deux années de PACES (première année commune aux études de santé) pour devenir médecin, elle renonce et s'inscrit au sein d'un institut de formation en soins infirmiers (IFSI) à Rennes (35). Aujourd'hui, en troisième année, elle n'a aucun regret : "On est au plus proche du patient, on établit une relation de confiance, on fait des soins techniques, j'aime bien ce que je fais", scande-t-elle.

Et pourtant, elle l'avoue sans détour : elle a bien déjà failli abandonner, comme de nombreuses autres étudiantes de sa promotion.

Les stages, une période propice aux abandons

"Tout le monde s'est posé au moins une fois la question de continuer ou pas la formation", confie l'étudiante rennaise. Les abandons ne sont en effet plus une exception en études de soins infirmiers. Rien que sur la promotion 2020, une étudiante sur cinq a jeté l'éponge selon l'enquête de la DREES (direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques).

Le plus souvent, ce sont les premiers stages qui mettent le feu aux poudres. "C'est la première cause d'abandon, note Manon Morel, présidente de la FNESI (fédération nationale des étudiants en sciences infirmières). Il y a de la maltraitance et cela dégoûte les étudiants."

Le dégoût, c'est aussi le mot qu'utilise Manon, l'étudiante en passe d'être diplômée pour parler des mauvaises expériences professionnelles : "Après mon premier stage, je me suis demandé ce que je faisais là. Des fois, on se sent juste comme une grosse mer**. On mange tout seul, on n'a pas accès aux vestiaires pour se changer ou quand on arrive dans un service, on entend 'encore des étudiants'".

Selon l'étudiante, avoir deux ans de plus que ses camarades de classe "a fait la différence" et l'a empêché d'abandonner.

La rentrée en IFSI et puis s'en vont…

D'autant que les études le montrent, la première année d'études est décisive. Près de 3.400 étudiantes ont abandonné en 2021 après seulement quelques mois de formation. À l'IFSI Bertrand Schwartz à Prémontré, dans l'Aisne, les difficultés de recrutement s'accumulent depuis plusieurs années.

"On ne remplit plus, ça s'aggrave, admet Jérémy Duval, formateur. Il nous manque environ dix étudiants par promotion chaque année."

En regardant le profil de ses étudiantes de plus près, le formateur remarque que la plupart viennent d'assez loin : soit d'Amiens, à 1h30 de route de Prémontré mais aussi et souvent, d'autres régions. De quoi expliquer les abandons : "L'éloignement familial est difficile à gérer pour ces jeunes qui ont 17-18 ans. Cela fait partie des points déclencheurs au même titre que l'aspect financier."

Car en étant la moitié du temps en stage, les étudiantes sont parfois amenées à effectuer des dizaines et des dizaines de kilomètres en voiture ce qui peut représenter 73 à 365 euros de frais par mois, selon l'enquête de la FNESI à la rentrée 2022.

Sans compter celles qui préfèrent "faire la route tous les jours, pendant trois ans" pour continuer à loger chez leurs parents, comme souligne Jérémy Duval.

Tout cela représente un coût conséquent pour les étudiantes alors même qu'elles ne choisissent ni leur IFSI sur Parcoursup ni leur lieu d'affectation pour leur stage et qu'elles ne sont pas indemnisées pour leurs frais kilométriques comme le souhaiterait la FNESI.

Les études de soins infirmiers, le plan B sur Parcoursup

Résultat, cette année, environ 20% des places sont restées vacantes en IFSI d'après le ministre de la Santé, François Braun. Surprenant quand on sait que le diplôme d'Etat d'infirmier reste l'une des formations les plus demandées sur Parcoursup et en réorientation : pas moins d'1,5 million de candidatures en 2022.

Parmi eux, quelques bacheliers "qui font le choix des IFSI pour obtenir une passerelle vers les filières médicales", estime Manon Morel à la FNESI.

Mais aussi des étudiants en réorientation comme Lucile. Après son année de PASS (parcours spécifique accès santé), sans savoir si ses notes lui permettraient d'entrer en médecine, Lucile a préféré se réinscrire sur Parcoursup : "J'ai principalement demandé des IFSI, au cas où. C'était vraiment un deuxième choix mais je ne me voyais pas aller en L.AS (licence avec option "accès santé"). Beaucoup se retrouvent dans ce cas", raconte celle qui a finalement accédé à la deuxième année de médecine.

Autant d'éléments qui expliquent pourquoi beaucoup postulent mais seulement un élève sur dix finit par accepter la proposition d'une formation sur Parcoursup. Les IFSI sont parfois devenus un plan B et les formateurs l'ont bien remarqué.

Marc Nicol-Brondin, cadre à l'IFSI de la Croix-Rouge de Tourcoing, parvient maintenant à repérer les "vœux formulés par défaut". "On sent les candidatures franches et celles où il s'agit d'une solution de repli, admet-il. Je crois que si on hésite, il vaut mieux faire autre chose parce que c'est courir à l'échec que de considérer l'IFSI comme un plan B."

Des étudiants plus angoissés à l'idée d'exercer

Bien sûr, parmi les candidats, il y a aussi ceux pour qui les études de soins infirmiers sont un véritable choix. Mais là encore, cela ne les empêche pas d'abandonner. "Ceux qui sont déçus sont parfois les plus motivés parce qu'ils ont une surreprésentation du métier. Certains pensent qu'ils vont sauver des vies", confirme Jérémy Duval.

Le formateur note aussi une nouveauté depuis quelques années avec des abandons en troisième et dernière année d'études. "Ce n'était pas le cas avant, c'est lié aux responsabilités qui les attendent." À quelques mois d'exercer en tant qu'infirmière, Manon voit la pression monter : "J'ai ultra peur mais j'ai aussi hâte de ne plus avoir ce statut d'étudiante."

La future infirmière a déjà bien conscience des tensions qui pèsent autour des hôpitaux. Avec un taux d'abandon en hausse, le manque d'infirmiers pourrait s'accentuer. Le nombre de diplômés est déjà en légère baisse : sur une promotion de 30.000 étudiants, environ 80% obtiennent leur diplôme.

"On voit bien que les étudiants ont changé, ils sont plus anxieux, ils manquent de confiance en eux. Il faut que nous les motivions, leur montrer un avenir serein et positif sans être utopique parce qu'ils savent que la santé, c'est compliqué", soutient Jérémy Duval.

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