Enquête

Suivre une prépa privée participe-t-il aux inégalités d'accès aux études de santé ?

Une étudiante suivant un cours en prépa aux études de santé.
Une étudiante suivant un cours en prépa aux études de santé. © Pauline Bluteau
Par Pauline Bluteau, publié le 15 décembre 2023
8 min

DOSSIER - Pour réussir leurs études de santé, de nombreux étudiants choisissent une prépa en PASS ou en L.AS. Mais cet accompagnement a un coût, et pas des moindres. Difficile alors d'imaginer que les études médicales pourraient être réservées à d'autres étudiants que ceux qui en ont les moyens financiers.

Accueillir de nouveaux profils d'étudiants en médecine, maïeutique, odontologie ou pharmacie, c'était tout l'objectif de la réforme des études de santé. Des élèves moins scientifiques d'une part et qui viennent de milieux sociaux ou géographiques diversifiés, d'autre part.

Finie, la logique des futurs médecins qui perpétuent la tradition familiale, il est temps de former des soignants qui n'auraient peut-être jamais imaginé intégrer ces formations si exigeantes.  

Oui, mais voilà, pour réussir, au moins la moitié des étudiants en PASS et L.AS choisit de suivre une prépa privée. Ces organismes ont un coût : entre 3.225 euros et 6.812,50 euros en moyenne selon l'ANEMF (association nationale des étudiants en médecine de France).

Les tarifs peuvent même atteindre près de 11.000 euros l'année dans certaines prépas. Difficile alors d'imaginer une réelle égalité des chances. 

Payer, un gage de la qualité de la formation

À l'UPEC (université Paris-Est Créteil), le doyen Pierre Wolkenstein insiste : "Beaucoup de familles considèrent qu'il faut payer [une prépa] pour compenser le manque de moyens à l'université. C'est de l'injustice." 

Le constat est largement partagé par les doyens à l'université. Pour le président de la Conférence des doyens de médecine, Benoît Veber, payer peut être un gage de fiabilité et de réussite pour les familles "mais cela génère une iniquité. Les étudiants foncent dans un marché et comme le système est compliqué (avec la réforme des études de santé, NDLR), ils s'y engouffrent…"  

Or, si la majorité des étudiants en a bien conscience, suivre une prépa contribue à accentuer les inégalités sociales dans les études de santé. "C'est un plus si on peut se le permettre, mais c'est de l'injustice", assure Athénaïs, étudiante en PASS à Besançon (25), qui suit en parallèle la prépa Bersot Formation. 

Chloé*, actuellement en quatrième année de médecine après avoir suivi une année de prépa à Médisup, l'avoue aussi volontiers : "C'est une inégalité de chance pour les étudiants. Il faut de l'argent pour faire des études de santé, ce n'est pas accessible à tout le monde."  

Les tutorats, gratuits, mais moins attrayants

Les tutorats, présents dans chaque faculté de médecine, l'ont également remarqué : face aux prépas, ils ne font pas le poids notamment parce qu'ils sont accessibles gratuitement, ou pour une dizaine d'euros par an, à tous les étudiants.

Pourtant, les services proposés en tutorat sont souvent similaires à ceux offerts par les prépas : des fiches de cours, des révisions, des colles, des entraînements aux QCM, un système de parrain-marraine…  

"Le fait que ce soit gratuit - et que le tutorat est assuré par des étudiants - rend les familles plus dubitatives mais il ne faut pas oublier que nous sommes passés nous-mêmes par cette première année, que nous sommes en lien avec l'université et les enseignants qui font les sujets des examens", confirme Sophia Berrahal, vice-présidente au tutorat Santé de Montpellier (34) et étudiante en troisième année de médecine.  

La prépa, un "service" à prendre ou à laisser

À Montpellier, Jean-Christophe Gout, responsable du développement à SUP'Perform, ne considère pas participer aux inégalités : "Ce système a toujours existé. C'est un service qu'on propose et qu'on n'impose pas, libre à chacun de le choisir ou non."  

Et comme tout marché, chacun fixe ses tarifs même si les résultats sont incertains. "On se dit que si on rate, on perd notre année et notre argent, mais c'est aussi motivant de se sentir accompagné", se rassure Lou-Anne, en PASS à l'UVSQ (université Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines) et en prépa à Médisup.  

En revanche, pour Perrine, aujourd'hui en deuxième année d'études de pharmacie à Amiens (80), la question de la prépa ne s'est pas posée : "Ce sont nos compétences, notre travail qui nous font réussir pas des cours qui nous permettent d'avoir de l'avance. J'ai préféré mettre cet argent dans mon permis de conduire, c’était plus concret". 

Les études de santé, depuis toujours réservées à l’élite

Néanmoins, ce ne sont pas les prépas qui font des études de santé une filière réservée aux plus aisés. En décembre 2022, une note du SIES, le service statistique du ministère de l'Enseignement supérieur et de la Recherche, donnait un aperçu des profils d'étudiants en PASS et L.AS ainsi que leur réussite.

Les chiffres sont sans appel : en 2021, 65% des néobacheliers inscrits en première année d'études de santé sont issus de familles cadres, professions intellectuelles supérieures ou intermédiaires.

Ces mêmes étudiants représentent ensuite 81% des admis dans les filières médicales. Avec ou sans prépa, les études de santé s'adressent déjà à une certaine frange de la population. 

À nuancer tout de même : "Il y a une réalité plus complexe pour les étudiants qui s'engagent dans ces études, constate Arnaud Dreyfus, fondateur et président de Médisup Sciences. On voit la diversité des étudiants dans nos prépas, il y a plus d'étudiants de CSP+ mais on retrouve aussi des étudiants des autres catégories. Ils ne viennent pas par hasard non plus. Ce sont des milieux qui priorisent des études, ils sont prêts à faire des sacrifices."  

En PASS et en L.AS, les étudiants boursiers représentent d'ailleurs 41% des effectifs inscrits en première année puis 25% des admis. Un chiffre considérable comparé à d'autres formations (26% en classe préparatoires aux grandes écoles, 22% en écoles d'ingénieurs et 11,5% en écoles de commerce en 2022 selon le SIES). 

Mais plus que l'accompagnement des prépas en première année et donc la possibilité d'en suivre une, la réussite se joue avant, au lycée : la probabilité d'être admis en études de santé dépend davantage du type de bac (scientifique) et du travail pour y arriver. Avec une mention "Très bien", les chances de réussite sont trois fois plus décisives que le fait d'avoir des parents sans emploi. 

 

Qu'est-ce qu'une prépa aux études de santé ?

Il existe une centaine de prépas aux études de santé en France. Si on les appelle "prépa", elles n'ont rien à voir avec les classes préparatoires aux grandes écoles (pour intégrer les ENS, écoles d'ingénieurs et de commerce principalement). Les prépas aux études de santé sont majoritairement des établissements d'enseignement supérieur privés non reconnus par le ministère de l'Enseignement supérieur. Plusieurs programmes sont proposés : dès le lycée aux élèves de première et terminale ; entre le lycée et l'université, une année blanche souvent appelée P0 ; et en PASS ou en L.AS, en première année d'études de santé à l'université (la plus répandue). Ces prépas sont payantes, et durent une année scolaire.

*Le prénom a été modifié. 

 

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