Portrait

Bastien "BiBooAF" Dulac : "Être e-sportif, ce n'est pas tout beau, tout rose"

Par Rachel Rodrigues, publié le 14 décembre 2023
6 min

Comme dans n'importe quel sport, le métier de e-sportif professionnel implique également des responsabilités et une régularité dans les performances. Rencontre avec Bastien "BiBooAF" Dulac, e-sportif professionnel.

Un bilan "en demi-teinte". Quand Bastien "BiBooAF" Dulac retrouve son coéquipier Nicolas, surnommé "P4", à Paris,  fin novembre, les deux joueurs ne peuvent s'empêcher de débriefer. "On a quand même réussi à performer, mais au global, toute l'équipe aurait pu faire mieux", admet Nicolas.

Leur équipe vient de rentrer d'un tournoi de e-sport organisé à Atlanta (États-Unis), où elle a terminé 9e du classement. Le jeu qu'ils connaissent sur le bout des doigts, c'est "Rainbow Six : Siege" : un FPS (First-Person Shooter, ou jeu de tir à la première personne, en français) stratégique où le but est d'éliminer en équipe ses adversaires, dans un temps donné. "Comme au foot, on établit des compositions de jeu, avec des attaquants et des défenseurs", détaille Bastien.

Passionné de jeux vidéo, ce n'est qu'en 2018 que le jeune e-sportif passe professionnel, lorsqu'il est recruté par le club Team Vitality. A l'époque, il avait enchaîné deux années de licences, qui n'avaient pas abouti, en biologie et LEA (langues étrangères appliquées). Aujourd'hui, il joue pour le club anglais Wolves Esport, dans l'équipe Rainbox Six : Siege.

De l'entraînement au tournoi de e-sport

Au quotidien, pas de journée de travail classique. L'équipe de Bastien commence à s'entraîner à 15 heures, et termine généralement vers 21h30 ou 22 heures. Un emploi du temps "décalé" qui lui permet de se lever un peu plus tard, mais aussi de faire du sport dans la matinée.

En termes d'entraînement, son équipe, constituée de cinq joueurs, se retrouve sur un serveur en ligne et joue, en testant des stratégies. "On enregistre aussi nos parties pour que nos coaches puissent analyser nos performances et nous faire des retours pour qu'on s'améliore", détaille Bastien.

Des journées théoriques sont également organisées de manière ponctuelle, "pour travailler sur papier et réfléchir à des stratégies ou des compositions de jeu qu'on aimerait mettre en place", ajoute-t-il.

A l'approche des tournois ou pendant l'année, l'équipe de Bastien peut aussi organiser des "boot camps" (camps d'entraînement). Le principe : se rejoindre au même endroit dans des locaux dédiés pour des périodes d'entraînement intensives. "Cela nous permet de jouer tous ensemble, dans la même pièce, et de renforcer le collectif, en cassant avec le télétravail", précise-t-il.

Faire la différence entre le pro et le personnel

Le soir, après sa journée d'entraînement, Bastien enchaîne avec une session de ce qu'il appelle "cool down", pour faire redescendre la pression. "Nerveusement, on a donné, on a accumulé pas mal d'adrénaline en jouant pendant plusieurs heures", explique-t-il. "Beaucoup prennent du temps pour lire, se poser devant une série, ou un film, faire autre chose avant de dormir."

Sur l'année, les rythmes sont assez particuliers : "on ne peut pas poser de congés à l'avance comme on veut car les dates des tournois sont souvent connues assez tard", précise le joueur. Il insiste : "être e-sportif, ce n'est pas tout beau, tout rose". Il faut savoir faire la différence entre le professionnel et le loisir et "réussir à comprendre qu'on a des responsabilités et qu'on ne joue pas que pour le plaisir", abonde Nicolas.

L'importance de la performance

Côté rémunération, Bastien perçoit un salaire tous les mois de Wolves Esport, et peut également toucher des primes, selon les résultats de son équipe à certains tournois. En termes de contrat, il est embauché par son club en tant qu'auto-entrepreneur, prestataire de services.

Et comme dans n'importe quel sport, la régularité des performances est également primordiale dans le métier de e-sportif, ce qui peut parfois engendrer une certaine précarité de l'emploi. "Tout peut très vite s'arrêter, pointe Bastien. Si les performances d'un joueur baissent de manière prolongée, pendant plusieurs mois, le club peut trouver quelqu'un de meilleur et le remplacer".

Les salaires en tant que e-sportif

Le salaire perçu par un joueur de e-sport varie beaucoup d'un club à l'autre, et selon le jeu performé. Comme dans le sport traditionnel, si un jeu est beaucoup suivi, et s'il fait l'objet de nombreux sponsors, le montant de la rémunération des joueurs suivra en conséquence. 

Le salaire peut aussi être réévalué d'une année à l'autre, selon les performances de l'équipe ou du joueur.

"Un hobby devenu un métier"

Le métier reste d'autant plus précaire qu'"il n'existe que très peu de formations officiellement reconnues, à l'heure actuelle, en France", explique Bastien, qui compare la situation à d'autres pays comme les États-Unis, ou la Corée du Sud, où le e-sport est déjà plus implanté professionnellement.

Le jeune e-sportif appelle même à la prudence : "il faut se méfier des établissements du supérieur qui vendent des formations de e-sport", car elles ne garantissent pas toujours un enseignement de qualité.

A ce titre, selon le site de France compétences, qui rend disponible l'ensemble des titres professionnels inscrits au RNCP (Répertoire national des certifications professionnelles), il n'existe qu'un seul titre professionnel en lien avec le esport. Celui-ci renvoie vers une certification d'animation, et non de jeu, à proprement parler.

Ne pas tout miser sur le e-sport

Bastien est catégorique : la clé pour devenir e-sportif professionnel reste de s'entraîner, participer à des compétitions, et "se faire repérer lors de tournois, par des clubs, ou d'autres équipes". Une question de chance, donc, qu'il ne faut pas prendre à la légère.

C'est d'ailleurs le conseil que Bastien donne à tous les jeunes qui lui demandent comment devenir e-sportif professionnel : "se donner à fond, tout en gardant à côté des études supérieures, ou un métier plus stable", pour éviter, à terme, de se retrouver sans rien. "Je vis un rêve et le jour où ça s'arrêtera, je ferai autre chose".

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