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Dégradation de la santé des étudiants en sciences infirmières : "Cinq ans après, rien n'a changé"

Près de 81% des étudiants en sciences infirmières se plaignent de différents maux physiques.
Près de 81% des étudiants en sciences infirmières se plaignent de différents maux physiques. © TommyStockProject / Adobe Stock
Par Pauline Bluteau, publié le 18 mai 2022
7 min

La crise sanitaire aurait pu aboutir à une prise de conscience voire à des actions concrètes en faveur des étudiants en sciences infirmières. Pourtant, le constat est toujours alarmant si ce n'est pire qu'en 2017. C'est ce que révèle aujourd'hui la FNESI, cinq ans après sa dernière enquête sur le mal-être des futurs infirmiers.

Le jour où les enquêtes montreront des signes positifs d'amélioration du bien-être des étudiants en sciences infirmières n'est pas encore arrivé… On en est même plutôt loin. "Peut-être qu’avant d’augmenter les quotas des places en IFSI (instituts de formations en soins infirmiers) pour répondre à 'l'hémorragie', il faudrait penser à considérer ceux et celles qui y sont, en améliorant leurs conditions de vie et d’études", constate amèrement la FNESI (Fédération nationale des étudiants en sciences infirmières).

D'après la fédération, en cinq ans, le mal-être des futurs infirmiers et infirmières s'est largement dégradé comparé à la dernière étude publiée en 2017. "À l'aube d'un nouveau gouvernement, il est temps de faire le bilan. L'occasion de remettre au centre des préoccupations la santé des futurs professionnels de soins que sont les étudiants en sciences infirmières."

Car qu'il s'agisse de leur santé physique, mentale, de la précarité ou des violences sexistes et sexuelles, les étudiants infirmiers ne sont pas épargnés.

Un étudiant infirmier sur six a déjà pensé à se suicider

Probable conséquence de la crise sanitaire, de leur forte mobilisation dans les hôpitaux, des confinements et de l'instabilité de leurs études depuis 2020, la santé mentale des étudiants en sciences infirmières s'est largement dégradée en cinq ans.

En 2017, 52,5% d'entre eux affirmaient avoir vu leur santé se détériorer depuis le début de leur formation, ils sont 61,4% en 2022. "Un étudiant sur six a déjà pensé au suicide durant ses études, note la FNESI. Ce chiffre, plus qu'inquiétant, est deux fois supérieur aux résultats précédents."

Ainsi, davantage d'étudiants infirmiers ont déjà consulté un professionnel de santé - 23,3% en 2022 contre 13,8% en 2017 -, en lien peut-être avec la mise en place du "chèque psy" depuis 2021 qui permet à tous les étudiants de bénéficier gratuitement de séances chez un psychologue.

Pour autant, cette aide ne suffit pas à améliorer leur bien-être. La consommation de médicaments type anxiolytiques, antidépresseurs ou hypnotiques a augmenté de sept points depuis 2017 : "Un étudiant sur trois a déjà consommé des traitements dans le but d'améliorer sa santé mentale", précise la FNESI.

Des conditions de formation peu propices au bien-être

À cela s'ajoute une mauvaise santé physique. Trois étudiants sur cinq estiment que la qualité et la quantité de sommeil est insuffisante. Ils sont autant à se sentir "souvent" ou "tout le temps" fatigués. Les étudiants infirmiers négligent ainsi leurs activités sportives ce qui accentue également les douleurs musculaires.

Près de 81% d'entre eux se plaignent de différents maux physiques. Un étudiant sur deux consomme donc des traitements pour pallier la douleur. "Je fais des études de santé pour soigner les gens tout en dégradant ma propre santé et sans pouvoir me soigner correctement", témoigne un étudiant.

L'alimentation passe aussi de plus en plus souvent au second plan, par manque de temps (63%) et par manque d'argent (39%). En effet, la précarité financière est loin d'être anodine pour les étudiants en sciences infirmières. Trois étudiants infirmiers sur cinq travaillent à côté de leurs études. C'est bien plus que les autres étudiants (58,1% contre 40%).

Le stage, un milieu appréhendé par les étudiants infirmiers

Des études éprouvantes, stressantes, avec un rythme soutenu entre périodes en IFSI et en stage à l'hôpital. Et un lieu propice au harcèlement et discriminations comme le reflètent plusieurs témoignages. Un étudiant évoque des tutrices de stage qui "nous sifflaient pour que nous venions les voir, nous appelaient par des numéros, elles nous ont interdit de prendre des pauses et de s'asseoir sur notre temps de stage. Elles nous critiquaient, nous insultaient et se moquaient de nous…".

Une autre étudiante parle d'outrage sexiste de la part d'un formateur : "Il m'a dit : 'Si vous mettiez des jupes un peu plus courtes et que vous étiez mieux maquillée, vous auriez peut-être de meilleurs stages.'"

D'après la FNESI, un étudiant sur trois a déjà été victime de harcèlement et un étudiant sur six d'agression sexuelle. Aussi, 59,2% des étudiants infirmiers ont déjà pensé à arrêter leur formation.

"A la suite de harcèlement en stage, j'ai fait une dépression. J’en ai rapidement parlé à ma formatrice référente qui m’a dit que si je n’avais pas les épaules, il fallait arrêter. Je me soigne mais dès que j’approche de l’IFSI pour reprendre ma formation, je fais une crise d’angoisse", précise un autre témoignage.

Les étudiants infirmiers "pas là pour remplacer l'effectif manquant"

Autant de situations intolérables pour la FNESI. "Cette alerte doit servir à une réelle prise de conscience des institutions encadrantes. Cela fait déjà trop longtemps que les étudiants souffrent d’un système de santé dégradé. Cela fait déjà trop longtemps que des jeunes abandonnent la formation à cause de comportements violents tolérés, voire encouragés, et de l’inaction collective", estime Mathilde Padilla, la présidente.

Plusieurs revendications sont soulevées comme la refonte du référentiel de formation, des formations et de la sensibilisation à la santé mentale et aux violences sexistes et sexuelles. Une augmentation des indemnités de stage de 15% pour atteindre 3,90 euros de l'heure, comme tous les autres étudiants en santé et non plus entre 1,03 et 1,70 euro selon l'ancienneté des étudiants infirmiers.

Globalement, la FNESI demande plus de moyens financiers, un réel investissement des ministères de tutelle (de la Santé et de l'Enseignement supérieur) et une prise en compte de leur statut comme étudiants bénéficiant des mêmes droits que tous les autres comme l'accès aux services du Crous.

Comme le résume Naïza Savignat, attachée de presse de la FNESI : "Nous ne sommes pas de la main-d'œuvre à bas coût, nous ne sommes pas là pour remplacer l’effectif manquant, nous ne sommes pas là pour entendre des discours moralisateurs et culpabilisants de la part des professionnels. Nous sommes là pour apprendre, apprendre à être des futurs professionnels de santé."

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