Témoignage

Odontologie : quand l'exigence des études impacte le moral des étudiants en dentaire

Pendant les TP, les étudiants en odontologie s'exercent sur des mannequins.
Pendant les TP, les étudiants en odontologie s'exercent sur des mannequins. © Photographee.eu/Adobe Stock
Par Pauline Bluteau, publié le 15 février 2022
7 min

Un tiers des étudiants en odontologie sont stressés, anxieux voire dans un état dépressif, selon une enquête de l'UNECD (étudiants en chirurgie dentaire). En cause notamment, l'évaluation constante des travaux pratiques dont l'exigence des enseignants pèse sur le moral des futurs dentistes.

Comme les futurs médecins, pharmaciens, sages-femmes ou infirmiers, les étudiants en odontologie sont globalement stressés par leurs études. Selon l'enquête de l'UNECD (Union nationale des étudiants en chirurgie dentaire), le mal-être ne s'améliore pas d'année en année : 45% des étudiants en dentaire ont des troubles d'anxiété et un tiers serait considéré en état dépressif.

Malgré ce que l'on pourrait penser, la crise sanitaire n'a certes pas amélioré le moral des futurs dentistes mais le mal-être semble bien plus profond et inhérent à l'organisation des études d'odontologie.

La pression des travaux pratiques

Lorsqu'ils parlent de leurs études de dentaire, Louis, Elysa et Claire* retiennent davantage le positif. Au fur et à mesure de la discussion, on comprend que tout n'est pas si rose, loin de là. "Les TP (travaux pratiques) ? Ah oui, c'est vachement stressant !, commente Louis, 20 ans en quatrième année d'odontologie à la faculté d'Aix-Marseille. En fait, les professeurs trouvent toujours quelque chose à nous redire alors qu'ils nous montrent qu'une fois les gestes avant de nous évaluer."

À côté des cours théoriques – dont la qualité ne semble pas remise en cause -, les étudiants ont aussi des TP où ils s'exercent aux différentes techniques sur des mannequins. Or, ils sont constamment évalués lors des travaux pratiques sans qu'ils aient eu le temps de s'y préparer. Elysa, 24 ans, en sixième et dernière année d'odontologie à l'université d'Aix-Marseille également, se souvient de ces TP : "J'étais tout le temps stressée parce qu'on n'a pas le droit à l'erreur", résume-t-elle.

D'autant que pour la majorité des élèves, s'ajoute la peur du redoublement due à leurs mauvais résultats en TP, premier facteur de stress selon l'UNECD. Nombre sont ceux qui réussissent à obtenir leur année grâce aux rattrapages.

"On stresse vis-à-vis des professeurs parce qu'ils ont beaucoup de pouvoir sur nos résultats", explique Claire, 21 ans, en quatrième année d'odontologie à l'université Côte d'Azur. "On a l'impression qu'il y a des abus sur les redoublements, certaines décisions ne semblent pas justifiées… donc la pression autour du redoublement est bien présente", confirme Louis.

Des études d'odontologie aux lourdes responsabilités

D'autant que la peur de mal faire est bien connue chez les étudiants en santé où les responsabilités leur incombent très tôt, dès leur entrée en externat en quatrième année. "Au fur et à mesure, ce stress s'intensifie puisqu'on a de véritables patients, on a tous envie de bien faire", justifie Elysa.

Louis, de son côté, a commencé cette année son externat et voit déjà la différence avec les TP à l'université : "À la fac, c'est très scolaire, on nous présente le cas parfait alors qu'en réalité, on fait surtout comme on peut, avec le manque de matériel, l'annulation des soins… On a la santé des patients entre nos mains, je pense que c'est normal aussi. On se sent responsable et même si on est là pour apprendre, quand nos gestes ont des conséquences, c'est la 'loose', ça joue sur mon moral en tout cas."

"Quand on arrive à l'hôpital, ce n'est pas le même stress, il y a d'autres facteurs à prendre en compte et notamment la communication avec le patient, on a parfois des fauteuils qui ne marchent pas, il faut faire changer les patients de place, on perd en crédibilité et on est moins enclin à se rappeler des étapes pour réaliser l'acte en lui-même", estime Claire.

Les quotas cliniques, une autre source de stress en dentaire

Mais le risque de redoubler perdure jusqu'à la fin de la formation. Après les TP, les étudiants sont soumis à des "quotas cliniques" : ce sont des actes qu'ils doivent réaliser sur des patients. Plus les actes sont variés et plus ils en font, plus cela leur rapporte "des points" pour valider leur année. Ces quotas ont même été une source de stress supplémentaire avec la crise sanitaire. Ils ont vu moins de patients, donc moins de pathologies alors que les quotas n'ont pas changé.

Résultats : un étudiant sur deux affirme avoir vu son bien-être mental et physique se dégrader depuis son entrée en odontologie et le nombre d'élèves ayant déjà consulté un professionnel de santé mentale est en hausse de 2,5 points depuis 2018. Plus inquiétant encore, la consommation de stupéfiants ou psychotrope a été multiplié par six en l'espace de trois ans en raison du stress.

Devenir dentiste, une vocation pour les étudiants

Finalement, à quelques mois d'avoir son diplôme, Elysa ne se sent pas prête à exercer son métier. "Je crois qu'on ne se sent jamais prêt à 100%, on s'est tous demandé ce qu'on faisait là lors d'un moment de stress mais on aime trop ce qu'on fait. Sans passion, on ne pourrait pas faire ces études."

Car comme Louis et Claire, Elysa ne regrette pas une seconde d'avoir choisi l'odontologie. Selon l'UNECD, près de 97% des étudiants s'y sont d'ailleurs engagés par choix. Mais si 72% des élèves en premier cycle (deuxième et troisième année) sont satisfaits de leurs études, ils ne sont plus que 54% en deuxième cycle à l'être.

C'est le cas de Louis qui a toujours voulu devenir dentiste depuis son stage de troisième. "Je voulais un métier que je pourrais exercer en libéral, un métier médical pour l'aide à la personne et manuel, je ne suis pas déçu de mon choix", confie-t-il. L'arrivée de Claire en externat lui a aussi permis de conforter son choix. Parmi les autres avantages de ses études d'odontologie, la jeune femme met en avant une formation courte, un métier précis et concret, en contact très tôt avec les patients.

Crise sanitaire ou non, l'UNECD compte bien mettre tout en œuvre pour améliorer la qualité de la formation dans son ensemble en créant notamment des cellules d'écoute pour que les étudiants puissent exprimer leurs attentes et leurs besoins.

*Le prénom a été modifié.

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